VII.130 : Norme générale de comportement (CH)
Le texte légal
Commentaire
Genèse
Cette disposition, issue directement de la directive 2014/17/UE (article 7.1.), précise l’attitude que doivent adopter un prêteur et un intermédiaire, dans leurs rapports avec un consommateur en particulier ou avec les consommateurs, avec les tiers garants et le marché en général. Cette disposition institue un standard du comportement du professionnel diligent et prudent en matière de crédit hypothécaire (comme d'ailleurs en crédit à la consommation puisque la disposition quasiment identique est reprise à l'article VII.70, § 1, dernier alinéa). Cette règle de conduite s’impose dans toute l’organisation de l’activité de crédit hypothécaire depuis la conception des produits de crédit, leur distribution et la négociation avec les consommateurs jusqu’à l’exécution des contrats et la mise en œuvre des mesures de recouvrement en cas d’inexécution. Dans cette mesure, cette norme fournit une grille d’appréciation de l’attitude et donc de la responsabilité des professionnels en crédit hypothécaire.
Agir d’une manière honnête et professionnelle
Cette formulation paraphrase le devoir de tout professionnel de se comporter de manière diligente et prudente. La diligence professionnelle est définie, pour le Livre VI, à l’article I.8., 25°, comme
. Le CDE interdit les pratiques «contraires aux exigences de la diligence professionnelle» (VI.93, CDE) qualifiées de «pratiques déloyales». Le comportement honnête et professionnel exigé par l’article VII.130 confirme donc en matière de crédit hypothécaire, ce que le CDE, Livre VI, exige de tout professionnel.
Agir d’une manière équitable et en tenant compte des intérêts des consommateurs
On considère en droit commun que le professionnel doit, dans une certaine mesure s’informer des besoins du consommateur et en tenir compte dans l’offre de contracter qu’il lui adresse ensuite. Dans les crédits réglementés, le devoir de tenir compte de l’intérêt du consommateur va au-delà des principes dégagés en droit commun et singulièrement des règles reprises au livre VI du Code de droit économique. Compte tenu des spécificités du crédit et des services financiers, il est donc imposé aux professionnels d’accorder une attention particulière aux besoins exprimés par le consommateur (ce qui implique l'obligation de l’interroger à cet égard).
Il est impossible de définir le concept du comportement équitable et qui tient compte des intérêts des consommateurs autrement que par une énumération d’applications exemplatives. Le considérant 31 de la directive en fournit quelques exemples: Il s’agit notamment de "tenir compte des informations sur la situation et les besoins du consommateur, de se fonder sur des hypothèses raisonnables quant aux risques pour la situation du consommateur sur la durée du contrat de crédit proposé, de s’abstenir de commercialiser un crédit d’une façon qui altère ou est susceptible d’altérer sensiblement la capacité du consommateur à réfléchir avec soin à la contraction d’un crédit, ou de ne pas utiliser l’octroi d’un crédit comme méthode principale de commercialisation lors de la commercialisation de biens, de services ou de biens immobiliers auprès des consommateurs ». Ce même considérant souligne l’ambition de la directive « d’exiger du secteur un haut degré d’équité, d’honnêteté et de professionnalisme, une gestion adéquate des conflits d’intérêts, notamment ceux découlant de la rémunération, ainsi que des conseils prodigués au mieux des intérêts du consommateur".
Le devoir de prise en compte des intérêts des consommateurs tel qu’il se trouve repris dans la norme générale se concrétise à divers endroits dans les dispositions sur le crédit hypothécaire (voy. par ex. l’article VII.131, § 5, sur le devoir de conseil, ou l'article VII.133, § 2 , qui impose au prêteur de n’accorder un crédit que s’il doit raisonnablement estimer que le consommateur sera à même de rembourser le crédit).
Il ne s’agit pas seulement d’une règle de conduite dans les contacts individuels avec les emprunteurs, c’est aussi un devoir qui s’applique à l’ensemble de l’activité du prêteur (ou de l’intermédiaire en crédit) hypothécaire en général. Le CDE impose ainsi au prêteur d’adopter une politique de rémunération qui n’encourage pas une prise de risque excédant le niveau qu’il a fixé ou qui ne porte pas préjudice à la capacité du personnel de fournir des conseils indépendants, par exemple en faisant dépendre la rémunération d’objectifs de vente (VII.147/30, § 6, CDE). Ces dispositions constituent une application du principe et n’épuisent pas la norme; c’est bien d’une ligne de conduite générale qu’il s’agit, laquelle doit être suivie par les professionnels et appréciée in concreto dans toutes leurs activités.
Agir d'une manière transparente
Enfin, les professionnels doivent agir d’une manière transparente. La norme générale ajoute un critère au devoir de comportement diligent et prudent du droit commun. Dans la réglementation financière, la transparence est un concept généralement associé à l’existence d’un conflit entre les avantages occultes ou indirects que le professionnel retire d’une opération et l’information complète ou le conseil indépendant que le consommateur est en droit de recevoir pour prendre la décision de contracter. C’est également le cas dans la directive 2014/17/UE. La directive l’évoque au considérant 47 en ce qui concerne les intermédiaires de crédits que, dans ce but de transparence, elle soumet à l’obligation de fournir des informations sur les liens qu’ils entretiennent avec les prêteurs et les commissions que ceux-ci leur paient. C’est ainsi que l’article VII.128, § 1er, 5°, oblige l’intermédiaire à signaler «en temps voulu» c’est-à-dire en tout cas avant la conclusion du contrat, l’existence de commissions et d’autres incitations reçues du prêteur ou d’autres tiers. Si le montant n’en est pas connu au début des contacts, il doit, au minimum, être renseigné dans l’ESIS. De même sur demande du consommateur, le courtier de crédit doit lui communiquer les niveaux de commissions qu’il perçoit des différents prêteurs avec lesquels il travaille.
Transparence et prêteur. Le devoir de transparence du prêteur n’est évoqué ni dans la directive, ni dans la loi, si ce n’est pour en consacrer le principe dans la norme générale. Il n’en reste pas moins que c’est une règle de comportement applicable aux prêteurs. Certains prêteurs assimilés aux intermédiaires de crédit sont considérés comme exerçant une activité d’intermédiation lorsqu’ils vendent leurs propres produits, ou agissent également comme intermédiaires d’assurance pour les contrats annexés ou dans le cas des ventes groupées.
Transparence et services accessoires
A l’occasion de la conclusion du contrat de crédit, un intermédiaire peut également agir en qualité d’intermédiaire d’assurance par exemple pour une assurance vie ou une assurance solde restant dû. Le devoir de transparence vise-t-il également les commissions d’assurance?
L’assurance est souvent une condition du crédit. Révéler l’intérêt de l’intermédiaire à la conclusion de l’opération en ne mentionnant que la commission de courtage pour le crédit donne une information d’autant plus incomplète que les commissions en matière d’assurance solde restant dû sont importantes (voy. les commentaires repris dans les travaux préparatoires sur la pratique des contrats annexes (Doc. parl., Ch. repr., Sess. 54, 1685/003, p. 16) et parfois plus élevées que les commissions perçues pour le contrat de crédit. C’est une obligation d’ailleurs reprise dans les règles MiFID telles qu’elles ont été transposées pour les assurances. L’information devrait porter également sur ces commissions. La formulation même de la norme générale qui vise expressément la fourniture de services accessoires, impose cette conclusion. L'article VII.128, § 1er, 5°, oblige d'ailleurs l’intermédiaire à communiquer sur support durable les informations concernant «les commissions ou d’autres incitations que les prêteurs ou des tiers doivent payer à l’intermédiaire de crédit pour ses services dans le cadre du contrat de crédit (…)».
La loi ne règle pas cette question de manière aussi précise qu’elle le fait pour les commissions liées au crédit lui-même. Dans l’ESIS, la section n° 2 « intermédiaire » comporte une case « rémunération ». Selon les instructions pour compléter l’ESIS reprises en partie B, il est précisé pour cette case : « Des explications concernant le mode de rémunération de l’intermédiaire de crédit. S’il perçoit une commission de la part d’un prêteur, le montant, et, si celui-ci est différent du nom figurant dans la section 1, le nom du prêteur sont indiqués ». Il semble donc que les commissions perçues d’autres personnes que le prêteur, ne doivent pas être renseignées dans l’ESIS dont la structure ne peut être modifiée (mais bien les instructions pour compléter le formulaire). Le devoir de transparence impose donc à l’intermédiaire de renseigner le montant des commissions perçues d’autres personnes que le prêteur dans un document annexe (Article 14.8. de la directive : "Les États membres ne modifient pas le modèle de FISE, à l’exception des modalités prévues à l’annexe II. Toutes les informations complémentaires que le prêteur ou, le cas échéant, l’intermédiaire de crédit ou son représentant désigné souhaite communiquer au consommateur ou qu’il est tenu de lui communiquer en vertu du droit national sont fournies dans un document distinct, qui peut être joint en annexe à la FISE)".
Transparence et rôle du consommateur
En crédit à la consommation, où le devoir de conseil est repris de longue date dans la loi, il est généralement considéré que le prêteur n’a pas l’obligation d’accorder le crédit aux meilleures conditions du marché (F. de Patoul, «La responsabilité du prêteur et de l’intermédiaire de crédit dans la phase précontractuelle, in Le crédit à la consommation, CUP 12/2004, vol 75, 46 et note [153]), ni de renvoyer le candidat emprunteur vers un concurrent moins cher (J.P. Gand, 5 janv. 1998, J.J.P., 1998, 596; voy. ég. Bruxelles, 15 septembre 2009, R.D.C., 2011, 306, note o. Stevens; Rev. dr. banc., 2011/1, 60, note m. De Muynck et m. de Potter de ten Broeck, «Begrip voor begripsverwarring? Capita selecta inzake de eenzijdige beëindiging van krediet (openingen)».). La règle générale ne dispense donc pas le consommateur de veiller à défendre ses propres intérêts mais elle peut imposer aux professionnels de faire passer l'intérêt du client avant leur propre intérêt. professionnel n’a pas le devoir de répondre aux besoins exprimés par le consommateur en recourant à d’autres produits que ceux qu’il commercialise habituellement, pour autant que ces produits répondent adéquatement aux besoins exprimés par le consommateur. Pour le crédit hypothécaire, les exigences du législateur vont plus loin. Les professionnels sont tenus préciser au consommateur si l’offre de crédit qu’ils adressent est fondée sur une analyse de leurs propres produits ou sur une gamme de produits offerts sur le marché en général. Pour le courtier de crédit et ses sous-agents, la loi prévoit l’obligation de prendre en considération un nombre suffisamment important de contrats de crédit disponibles sur le marché.
Il reste une marge d’appréciation lorsqu’un produit ne répond que partiellement au besoin exprimé par le consommateur. En pareil cas, la difficulté ne peut se résoudre que par une information correcte (dont la preuve incombera au professionnel), la décision finale appartenant au consommateur ainsi informé des contraintes voire des limites du contrat qui lui est proposé. On souligne dans cette perspective le rôle prépondérant du professionnel dans l’élaboration d’un questionnaire permettant de cerner les besoins exacts du consommateur.
Transparence et tiers garants
Le devoir de transparence vaut également dans les rapports avec les tiers qui constituent une sûreté personnelle ou, plus généralement, qui se portent garants pour le consommateur. Cette norme semble créer un devoir d’information aggravé par rapport au droit commun envers les tiers garants, par exemple si l’analyse de solvabilité faite par le prêteur devait mettre en évidence des risques particuliers ou si en raison de la forme ou des modalités du crédit, le contrat comportait un risque supérieur au risque découlant d’un contrat classique. On songe par exemple aux appréciations négatives que contiendrait le rapport d’expertise du bien donné en garantie ou aux réserves qu’exprimerait le consommateur dans ses réponses au questionnaire du prêteur. La loi ne prévoit pas que l’expertise ou le questionnaire de l’emprunteur soient communiqués au tiers garant. Ce devoir devra s'apprécier en tenant compte de l'obligation qui incombe au tiers garant de s’informer auprès de l’emprunteur pour délimiter le risque qu’il accepte de couvrir (Gand, 21 mars 2012, N.j.W., 2012, p. 604 et note R.S. ; Mons, 20 janvier 2015, J.L.M.B., 2016/11, p. 484, obs. F. Renson. Gand, 19 septembre 2012, R.A.B.G., 2014/16, p. 1098, et note D. Blommaert, «Krediettoekenning en zekerheden: een bewegend evenwicht », p. 1108). Le tiers garant a,en effet le devoir, comme tout homme prudent et diligent, de s’informer des risques qu’il prend et donc, de la situation financière du débiteur. Le devoir de transparence obligera certainement le prêteur à signaler au tiers garant l’existence de risques particuliers, lorsqu’ils peuvent n’être connus que du prêteur ou qu’il est mieux à même d’en apprécier la portée.
La norme générale de comportement et les obligations spécifiques au devoir de conseil
La norme générale précise des obligations spécifiques pour le devoir de conseil que le livre VII impose aux prêteurs et intermédiaires non seulement pour le crédit mais également pour les services accessoires. Dans l'exercice de leur devoir de conseil, les professionnels doivent accorder une attention toute particulière aux informations qu'ils ont recueillies auprès du consommateur et à d'autres sources. Il s'agit de fournir un conseil adapté à ces informations et au besoin spécifique exprimé par le consommateur. Dans la recherche du crédit responsable (responsible lending) mise en avant par la directive 2014/17/UE, il s'agit d'inciter le prêteur à ne pas aller au-delà du besoin exprimé par le consommateur et plus encore, de ne pas susciter le besoin de crédit. Se trouve par exemple ainsi mise en question, la pratique des ouvertures de crédit à durée indéterminée pour l'achat d'un bien de consommation d'une durée de vie limitée. L'intérêt du prêteur de susciter la réutilisation du crédit après remboursement du bien à acquérir à crédit est en conflit avec l'intérêt du consommateur de limiter le coût et les charges du crédit à l'acquisition du bien. Les pratiques commerciales et les offres de crédit à la consommation que l'administration constate sur le terrain, en particulier auprès des chaînes de la grande distribution, paraissent très souvent faire passer l'intérêt du consommateur au second plan, après l'intérêt du prêteur. La norme générale de comportement oblige pourtant les professionnels à accorder la priorité à l'intérêt du consommateur.
Sanction pénale
La norme générale contenue dans l’article VII.130 est sanctionnée civilement par l'article VII.209 et pénalement par l’article XV.90, 19°, si le prêteur ne fournit pas l'information la mieux adaptée ou ne recherche pas le crédit le mieux adapté.