Charge de la preuve

 

 

 

Article VII.2, § 4, 2ème alinéa:

Sans préjudice des dispositions de l'article VII.54, les clauses et conditions ou les combinaisons de clauses et conditions qui ont pour objet de mettre à charge de l'utilisateur de services de paiement ou du consommateur, la preuve du respect de tout ou partie des obligations, visées dans le présent livre, qui incombent au prestataire de services de paiement, au prêteur ou à l'intermédiaire de crédit, sont interdites et nulles de plein droit. Il incombe au prêteur de fournir la preuve qu'il a satisfait aux obligations concernant l'évaluation de la solvabilité, visée aux articles VII.69, VII.75, VII.77, VII.126, VII.127, § 1er, VII.131 et VII.133 du consommateur et, le cas échéant, de la personne qui constitue une sûreté personnelle.

Ratio legis

Prévoir des mesures de protection du consommateur en contraignant le professionnel à respecter des obligations d’informations, de conseil ou d’évaluation de la solvabilité resterait un exercice vain, si le consommateur ne pouvait faire valoir ses droits devant le juge.

C’est la raison pour laquelle les règles probatoires sont également aménagées afin de rendre la protection effective. Un professionnel ne peut restreindre les droits des consommateurs par des clauses ou des combinaisons de clauses par lesquelles il transférerait à charge du consommateur, la preuve de tout ou partie des obligations que la loi lui impose. La dernière phrase de l’article VII.2, § 4, al.2, formule la règle de manière positive: «Il incombe au prêteur de fournir la preuve qu'il a satisfait aux obligations concernant l'évaluation de la solvabilité, visées aux articles (..) VII.126, VII.127, § 1er, VII.131 et VII.133 du consommateur et, le cas échéant, de la personne qui constitue une sûreté personnelle».

 

L’interprétation de la CJUE

La charge de la preuve de la bonne exécution des obligations par le prêteur et l’intermédiaire leur incombe non seulement pour les obligations de la phase précontractuelle, spécifiquement visées par l’article VII.2, § 4, al. 2, mais également pour toutes les obligations du titre 4 chapitre 1 (crédit à la consommation) et chapitre 2 (crédit hypothécaire) du livre VII du CDE qui transposent des règles découlant du droit communautaire.

Elle vaudrait même pour tous les régimes de protection des consommateurs, si l’on retient les enseignements de l’arrêt de la Cour de Justice dans l’affaire Consumer Finance (CJU, 18 décembre 2014, CA Consumer Finance SA / Ingrid Bakkaus, Charline Bonato et Florian Bonato, ECLI:EU:C:2014:2464; Ann. Crédit, 2012, p. 31 note J. VANNEROM, «Credit checks must not only be done, they must be seen to be done») (R. STEENNOT, "artikel VI.2, WER" in Handels- en economisch recht. Commentaar met overzicht van rechtspraak en rechtsleer).

Se fondant sur le principe d’effectivité, la Cour considère que la charge de la preuve de la bonne exécution des obligations des professionnels leur incombe parce que la protection qu’assure la directive 2008/48/CE serait inefficace s’il incombait au consommateur d’apporter la preuve de la non-exécution de ces obligations.

Concrètement en effet, le consommateur ne dispose pas des moyens lui permettant d’apporter cette preuve alors qu’un prêteur diligent doit avoir conscience de la nécessité de collecter et de conserver les preuves de ce qu’il a respecté ses obligations. Ce constat s’impose pour l’ensemble des protections mise en place par les dispositions en matière de crédits réglementés.

Si la preuve de la violation de la règle est aisée à rapporter, la question de la charge (ou du risque) de la preuve ne se pose pas. Par contre, si cette preuve est difficile, voire impossible, le droit que la disposition tend à protéger est réduit à néant si c’est le consommateur qui doit assumer le risque de la preuve.

Pour ce même principe d’effectivité, la Cour dit pour droit que les dispositions de la directive 2008/48/CE s’opposent à ce que, en raison d’une clause type, le juge doive considérer que le consommateur a reconnu la pleine et correcte exécution des obligations précontractuelles incombant au prêteur (En l’espèce, la consommatrice reconnaissait avoir reçu et pris connaissance de la fiche d’informations européenne normalisées). L’interprétation des directives européennes par la Cour, s’impose aux juridictions belges qui appliquent les textes du droit national transposant les directives européennes.

La portée de l'arrêt Consumer Finance ne doit pas être sous-estimée. Bien que la Cour se prononce sur l'application des règles relatives au crédit à la consommation. Cette décision vaut pour tous les obligations harmonisées qui reposent sur les entreprises professionnelles dans leur rapport avec les consommateurs. (VANNEROM J., "Credit checks must not only be done, they must seen to be done" note sub C.J.C.E. (4ème Ch.) 18 décembre 2014, CA CONSUMER FINANCE/BAKKAUS, Ann. Jur. 2014, p. 58 et sp.p. 63).

La position de la Cour peut sans aucun doute être transposée pour la charge de la preuve des obligations découlant de la directive 2014/17/UE. C’est ainsi au prêteur qu’il incombe de prouver qu’il a effectivement rempli son devoir de fournir l’ESIS sur un support durable (R. Steennot, «Le formalisme d’information et de conclusion du contrat», in Crédit aux consommateurs et aux P.M.E., CUP, vol. 170, Larcier 2016, p. 101). Le prêteur prudent veillera donc, par exemple, à faire signer par le consommateur, pour accusé de réception, un double de l’ESIS (ou du SECCI pour les crédits hypothécaires à but mobilier).

Soulignons enfin que la position adoptée par la Cour due Justice s'impose au juge belge même pour les contrats conclus avant la décision du 18 décembre 2014 (STEENNOT R. et al., "Overzicht van rechtspraak consumenten bescherming (2005-2014)", T.P.R. 2015 - 3/4, n° 399, 1729) et alors que la position de la Cour de Cassation était différente et qu'elle continue, sur cette question, de faire l'objet d'interprétations divergentes.

Le texte de l’article VII.2, § 4, al. 2, est un ajout de la loi du 19 avril 2014. Il était justifié dans les travaux préparatoires, par la nécessité de répondre à une décision "de la Cour de Cassation du 10 décembre 2004 en rapport avec la charge de la preuve en cas de non-respect par le prêteur ou l’intermédiaire de crédit des articles 11 et 15 LCC. C’est le consommateur qui devrait le démontrer en premier lieu, ce qui n’est pas du tout évident" (Doc. Parl., Ch., Sess. 53, 3429/001, 21). La position de la Cour de cassation dans son arrêt du 10 décembre 2004 est dépassée par l’interprétation qu’impose la Cour de Justice dans l’affaire Consumer Finance (STEENNOT R. et al., "Overzicht van rechtspraak consumenten bescherming (2005-2014)", T.P.R. 2015 - 3/4, n°399, p. 1729).

La Cour est revenue sur son interprétation de l’article 1315 du Code civil au regard des obligations d’information ou de conseil des professionnels. En effet, dans un arrêt du 25 juin 2015, statuant sur le devoir d’information d’un avocat, la Cour constate qu’il résulte des règles relatives à la charge de la preuve que c’est à l’avocat qu’il incombe de prouver qu’il s’est conformé à son obligation d’informer son client, et non à ce dernier de prouver le fait négatif que l’information requise ne lui a pas été donné (Cass. 25 juin 2015, R.G.A.R., 2015, livr.9, n°15219, note F. GLANSDORFF; R.D.C., 2016/7, 653, note D. MOUGENOT, « La charge de la preuve du devoir d’information du professionnel: procession d’Echternach ou clarification définitive ? », 655; J.T. 2016, 609, note F.G; M-A ORLANDO, «La charge de la preuve du devoir d’information du médecin: un revirement de jurisprudence?», R.G.A.R., avril 2017, n°4, 15374). Un nouvel arrêt du 11 janvier 2019 semble toutefois remettre cette position en question. En tout état de cause, pour la protection des consommateurs, l'interprétation de la Cour de Justice s'impose, même à la Cour de cassation (R. Jafferali, "La charge de la preuve de la fourniture d'informations - tentative de conciliation des arrêts de la Cour de Cassation des 25 juin 2015 et 11 janvier 2019", J.T., 2019, 713-724, et sp. pt 11,in fine).

Avec l’article VII.2, § 4, al.2, le Code ne fait d’ailleurs que reprendre pour les crédits réglementés, la clause abusive de l’article VI.83, 21°: est abusive la clause qui a pour objet de limiter de manière non autorisée les moyens de preuve que le consommateur peut utiliser ou lui imposer une charge de la preuve qui incombe normalement à une autre partie au contrat.

Enfin, toute clause qui tendrait à aménager la preuve ou à aggraver le risque de la preuve pour le consommateur porte atteinte au caractère impératif voire d’ordre public des mesures de protection mises en place par la loi. Conformément à l’article VII.2, § 4, al.1, cette disposition est interdite et nulle de plein droit puisqu'elle vise à restreindre les droits des consommateurs ou à aggraver leurs obligations.

La loi insiste par ailleurs sur l’obligation pour le prêteur de conserver des traces écrites de ses prestations (par exemple l’article VII.133, § 1er, 4e alinéa). Ces modes de preuve font partie du régime de protection. Ils doivent être appliqués comme les autres prescriptions légales. Si le mode de preuve imposé par le Code n’est pas respecté, il faut considérer que la preuve ne peut pas être rapportée par d’autres modes.

Conformément à la jurisprudence constante de la Cour de justice, même si le consommateur fait défaut, le juge doit soulever d’office le moyen et il peut demander au créancier, demandeur en justice, de fournir la preuve de l’exécution de ses obligations, par exemple en matière d’information ou d’évaluation de la solvabilité du consommateur (C.J.C.E., 4 octobre 2007, Godard Rampion / Franfinance, C-429/05, ECLI:EU:C:2007:575; pour un exemple récent: C.J.U.E., 21 avril 2016, Ernst Georg Radlinger et Helena Radlingerová c. FINWAY a.s., C 377/14, ECLI:EU:C:2016:283).

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