VII.90 : La remise du montant du crédit au consommateur

 

Article VII.90

§ 1er. Tant que le contrat de crédit n'a pas été signé par toutes les parties, aucun paiement ne peut être effectué, ni par le prêteur au consommateur ou pour le compte de celui-ci, ni par le consommateur au prêteur.

Sauf disposition contraire dans le contrat de crédit, le prêteur met le montant du crédit immédiatement à disposition par virement sur le compte du consommateur ou sur celui d'un tiers désigné par le consommateur ou par chèque. La mise à la disposition du montant du crédit en espèces ou en argent comptant peut uniquement se faire dans les cas indiqués par le Roi dans un arrêté délibéré en Conseil des ministres, en tenant compte du montant du crédit, du type de crédit, du but et du moment de la conclusion du contrat de crédit.

§ 2. Le prêteur continue de répondre des sommes qu'il a remises à l'intermédiaire de crédit, en exécution du contrat de crédit, jusqu'à ce qu'elles soient, dans leur totalité, mises à la disposition du consommateur ou d'un tiers désigné par lui.

Première règle: interdiction de tout paiement avant la signature du contrat

Principe

L’objectif de protection des consommateurs serait mis en danger si, sans attendre la conclusion du contrat, le crédit pouvait être utilisé par ou pour le consommateur. Une fois le crédit utilisé, le consommateur n'aurait plus d'autre choix que de conclure le contrat.

L’article VII.90 du Code contient donc une interdiction fondamentale: il est interdit au prêteur d’effectuer un paiement au consommateur ou pour son compte ou de réclamer un paiement au consommateur avant que le contrat n’ait été signé par toutes les parties. Il s'agit de préserver le consommateur d’une forme de harcèlement commercial qui le placerait devant le fait accompli et le contraindrait de la sorte à un emprunt « forcé ». Ce que la loi interdit notamment, c’est la formation progressive et tacite d’un lien contractuel pour l’octroi d’un crédit à la consommation (DAMBRE M., "Over artikel 16 Wet Consumentenkrediet: het geruisloos krediet als “geschenk” voor de consument", sub J.P. Courtrai, 1er février 2000, Ann. Crédit, 2000, p. 29).

L'interdiction formulée par la loi est radicale. Elle est renforcée par l'article VII.67 (interdiction de l'envoi d'un moyen de crédit ou d'une offre de contracter) et l'article VII.84 (interdiction du paiement au vendeur du bien ou du service avant la conclusion du contrat). La seule exception est reprise à l'article VII.93.

La sanction en cas de violation de cette disposition est la plus lourde des sanctions civiles prévues par la loi puisqu’elle permet au consommateur d’exiger le remboursement des sommes qu'il a versées, augmentées du montant des intérêts légaux (VII.197) et de conserver la somme ou le bien qui lui aurait remis avant la conclusion du contrat (VII.198). Elle mesure donc l’importance attachée au respect de la règle.

Le sens du mot paiement

Le mot paiement utilisé à l’article VII.90 ne vise pas seulement le transfert d'une somme d'argent mais par référence à la théorie des obligations, l'exécution de toute forme de prestation comme par exemple l'exécution d'un service ou la livraison d'un bien (BIQUET-MATHIEU C., Aperçu de la loi relative au crédit à la consommation après la réforme du 24 mars 2003, in Chronique de droit à l'usage des juges de paix et de police, cahier n°42, janvier 2004, p.90, n°112). C'est la même logique en effet qui est à la base de cette exécution alors que le contrat n'est pas encore signé: il s'agit d'anticiper le crédit et de placer le consommateur dans une position de contrainte morale qui rendra la signature du contrat inéluctable. Le tribunal de première instance de Courtrai a appliqué la sanction dans une espèce où le consommateur avait reçu deux chèques représentant le montant du crédit avant la signature du contrat (Civ. Courtrai,17 mars 2006, R.W. 2008-2009, 73).

C'est pour cette raison que la loi du 24 mars 2003 a étendu la sanction de l'article 89 LCC [VII.198, CDE] à la livraison du bien ou à la réalisation du service qui précède la conclusion du contrat.

L'interdiction vise donc autant le prêteur que le fournisseur qui intervient comme intermédiaire pour la conclusion du contrat de crédit ou qui sollicite auprès d'un prêteur un refinancement avec cession ou subrogation immédiate (C. BIQUET, ibid., p. 90 n°112).

L'erreur, cause d'excuse ?

Dans la LCC, la sanction civile en cas de versement de somme avant la conclusion du contrat précisait que le consommateur n'était pas tenu de la restituer, sauf si le prêteur établit que ledit versement est le résultat d'une erreur de fait ou de droit. Cette mention a été supprimée à l'occasion de la réforme intervenue en 2003. L’exception « sauf si le prêteur établit que ledit versement est le résultat d’une erreur de fait ou de droit » est abrogée: le prêteur peut trop facilement invoquer de telles erreurs (problème d’informatique, de personnel, etc.) (Exposé des motifs, Doc. Parl, Chambre, 2002-2003, 1730/01,47). L'erreur du professionnel est donc réputée inexcusable, qu'elle soit de droit ou de fait.

Provision sur frais

La règle de l'article VII.90, § 1, a pour conséquence que ni le prêteur, ni l'intermédiaire ne peuvent, avant la conclusion du contrat, demander une provision pour couvrir des frais même s'ils sont ultérieurement repris dans le coût total comme frais de dossier ou frais de consultation de base de données par exemple (LETTANY P., Het consumentenkrediet, De Wet van 12 juni 1991, Kluwer, 1993, 160, p. 139).

Article VII.90 et annulation du contrat de crédit

Certains plaideurs ont sollicité l’application des articles VII.90 et de la sanction de l’article VII.198 en cas d’annulation du contrat de crédit. Cette thèse a été écartée. L’article VII.90 implique un paiement antérieur à l’acceptation de l’offre par le consommateur. L’annulation du contrat (application de l’article VII.195) ne signifie pas qu’il n’y a jamais eu acceptation par le consommateur. D'autres ont soutenu que dès lors que le contrat était annulé, le paiement intervenu devait être qualifié de paiement indu et que le prêteur était en droit d'en réclamer restitution. Le tribunal de première instance de Courtrai a écarté cet argument: la sanction civile ne fait pas disparaître la cause du paiement, c'est-à-dire la signature ultérieure d'une convention de prêt (Civ. Courtrai,17 mars 2006, R.W. 2008-2009, 73.).

Celle-ci est effectivement intervenue mais le juge la prive d’effet par le jugement prononçant la nullité (Civ. Bruges (10ème Ch.), 20 mars 1998, J.J.P., 1998, 589 – cette décision souligne que les sanctions frappant l’absence des mentions requises par l’article 14 [VII.78] sont spécifiques et que l’on ne peut étendre à la violation de l’article 14 [VII.78], une sanction que le législateur a prévue uniquement dans le cas d’un paiement effectué avant l’acceptation par le consommateur; J.P. St Niklaas, 19 février 1997, J.J.P., 1997, p. 116; J.P. Zottegem, 18 décembre 1997, D.C.C.R., 1998, p. 139 ; Civ. Bruges (10ème Ch.), 20 mars 1998, J.J.P., 1998, 589; D. BLOMMAERT et F. NICHELS, Kroniek (II), n°30 ; J.P. Landen, 28 juin 2000, Ann. Crédit, 2000, p. 44.).

Sanctions civiles et pénales

L’article VII.197 permet au consommateur d'exiger le remboursement des sommes qu'il a versées, augmentées du montant des intérêts légaux, lorsqu'un paiement a eu lieu malgré l'interdiction visée à l'article VII.90. Cette sanction vise uniquement les sommes payées par le consommateur avant la signature du contrat de crédit (Gand (2e ch.), 21 septembre 2011, D.C.C.R., 2012, n° 96, p. 75-82). Cette sanction est complétée par l'article VII.198 qui vise les sommes que le consommateur n'aurait pas encore remboursées: le consommateur n'est pas tenu de restituer la somme versée, de payer le service ou le bien livré ni de restituer ce dernier lorsqu'il y a violation de l'interdiction prévue à l'article VII.90, § 1er, alinéa 1er.

Sanction pénale: XV.90, 7° en cas de paiement du consommateur au prêteur avant la conclusion du contrat de crédit

Exemples- jurisprudence

  • Civ. Courtrai,17 mars 2006, R.W. 2008-2009, 73: deux chèques remis avant la signature du contrat et application de la sanction prévue par l'article 89, LCC (VII.198, CDE).
  • J.P. Courtrai, 1er février 2000, Ann. Crédit, 2000, p. 29 applique l'article 16-, LCC [VII.90, CDE] au prélèvement effectué par le prêteur sur le compte du consommateur qui a pour effet de mettre en compte en négatif.
  • Est déchu du droit de demander le remboursement du capital, le prêteur qui ne démontre pas la date de remise effective au consommateur des chèques représentant le montant du crédit, alors que ces chèques sont datés d'avant la consultation de la Banque nationale et la signature du contrat (J.P. Courtrai (II) et Civ. Courtrai, 17 mars 2006, J.J.P., 2007, 403 et note F. de PATOUL, La dure sanction de l'article 89 de la loi sur le crédit à la consommation).
  • L'exception peut être opposée par le consommateur à l'assureur-crédit subrogé dans les droits du prêteur. Par contre, l'action en remboursement des sommes payées avant la signature de contrat de crédit doit être dirigée contre le prêteur lui-même (Gand (2e ch.), 21 septembre 2011, D.C.C.R., 2012, n° 96, p. 75-82).

Avis de l'administration

  • Il peut être retiré par le prêteur du capital mis à disposition du consommateur, conformément à l’article 16, § 1er, alinéa 2 de la LCC, [VII.90, CDE] des frais liés à l’activité du prêteur tel des frais de constitution de dossier ainsi que des frais liés aux service proposés par des tiers, pour autant que ceux-ci soient inclus dans le calcul du TAEG lorsque le paiement de ces frais sont une condition obligatoire à l’obtention du crédit, qu’une disposition au sein du contrat de crédit le prévoit, et que le TAEG demeure dans la limite du TAEG maximal légal.

    Dans ce cas, et puisqu’il y a lieu de disposer de l’accord du consommateur quant à ce ou ces prélèvements, un système de cases à cocher devrait, dans l’idéal, être prévu puisque par principe le consommateur doit avoir la possibilité d’effectuer lui-même les versements afin de payer les différents frais accessoires au crédit de la manière dont il le souhaite, ce qui justifie un accord spécifique du consommateur.

Postérieurement à cet avis, la CJUE s'est prononcée sur la possibilité de retenir des frais sur le montant du crédit et a exclu cette possibilité (Affaire C-377/14 - Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 21 avril 2016 - Ernst Georg Radlinger et Helena Radlingerová contre Finway a.s. - Renvoi préjudiciel - voir les attendus significatifs de la décision). L'argument de la Cour est que le prélèvement sur le montant total du crédit aurait pour effet de desous-évaluer le TAEG. Selon la Cour, les notions de «montant total du crédit» et de «coût total du crédit pour le consommateur» sont exclusives l’une de l’autre et que, partant, le montant total du crédit ne saurait inclure aucune des sommes entrant dans le coût total du crédit pour le consommateur.Cette décision suscite la perplexité de plusieurs auteurs (voy. not. VANNEROM J., « Een bondig overzicht van het hypothecair kredietrecht 2.0 », D.C.C.R., 2016, n° 111, p. 61-72) d'autant que l'exemple 7c de l'annexe 1 de l'arrêté royal du 14 septembre 2016 envisage le financement de la prime unique d'assurance solde restant dû. Il n'est pas exclu qu'une jurisprudence ultérieure vienne préciser sinon tempérer cet arrêt (BIQUET-MATHIEU C., "Le capital et les intérêts", in Le crédit hypothécaire au consommateur, ULG/UCL, Larcier, Coll. Patrimoine et notariat, 2017, p.268)

Deuxième règle: interdiction du paiement en espèces

A l'occasion de la transposition de la directive 2008/48/CE par la loi du 13 juin 2010, le législateur belge a introduit l’interdiction du paiement en cash: L’alinéa 3 vise à restreindre la mise à disposition d’argent en espèce. Il s’agit d’une interdiction de payer immédiatement et directement le montant du crédit en argent liquide avant même que le contrat ne soit parfait. Le Roi peut y déroger dans un certain nombre de cas particuliers. L’un de ces cas est par exemple le financement de l’achat d’une voiture d’occasion où le contrat de vente sous-jacent a été conclu entre deux particuliers. Le consommateur devra, par conséquent, disposer d’un compte. Lorsqu’un compte au sein du même établissement est nécessaire afin d’octroyer un crédit, l’article 31, § 1er, LCC [VII.87, § 1er, CDE] est d’application (Exposé des motifs, Doc. parl., Chambre, Session n° 52, pp. 41 et 42).

Le paiement doit donc être effectué par virement (sur le compte du consommateur ou d'un tiers) ou par chèque. L'objectif est d'organiser une certaine traçabilité des opérations et d'éviter des abus constatés à l'occasion des paiements en espèces.

Le paiement par virement ou chèque permet de s'assurer a posteriori que le consommateur a bien perçu l'intégralité du capital et de contrôler la date précise de mise à disposition des fonds. La conséquence de cette interdiction, c'est que pour tous les contrats de crédit régis, le consommateur devra disposer d'un compte en banque à chaque fois que le montant du crédit devra lui être remis.

Hormis dans le cas des ouvertures de crédit sous forme d'avances en compte (ou le fait de disposer d'un compte relève de l'essence du crédit), le prêteur ou l'intermédiaire ne pourront jamais imposer au consommateur de disposer d'un compte dans un établissement de crédit déterminé (celui du prêteur ou un tiers). Comme le rappelle l'exposé des motifs évoqué ci-dessus, l'article VII.87, § 1, interdit cette pratique.

Le Roi peut autoriser le paiement en espèces dans certains cas. Il n’a pas été fait usage de ce pouvoir.

La libération progressive du capital sur production de justificatifs

La libération progressive du capital sur production de justificatifs

Lorsque le crédit sert à financer des travaux, il est fréquent que le prêteur exige la production de factures pour autoriser les prélèvements successifs du capital. Les conditions de libération doivent être clairement précisées dans le contrat. Le consommateur doit ainsi être informé :

  1. de la période maximum pendant laquelle des prélèvements pourront être effectués.
  2. du taux d'intérêt et plus généralement des conditions financières applicables aux prélèvements effectués pendant cette période.
  3. des conséquences éventuelles du non-prélèvement du capital ou d'une partie du capital au terme de la période de prélèvement.
  4. du moment où les amortissements en capital devront être entamés (par exemple, dès le premier prélèvement en capital, ou lors que la totalité du capital sera prélevée, ou lorsque le capital sera prélevé à concurrence de x%, ou lorsque le consommateur signifiera au prêteur qu'il renonce à prélever le solde, ou au terme de la période de prélèvement...).
  5. Lorsqu'il est acquis que le capital initialement prévu ne sera que partiellement prélevé, le prêteur doit communiquer un nouveau tableau d'amortissement correspondant au capital effectivement prélevé.
  6. Dans tous les cas, l'amortissement du capital doit intervenir sur la durée prévue au contrat. En d'autres termes, si le remboursement est calculé sur 60 mois par exemple, cette période doit être calculée à partir du moment où le premier terme de paiement devient exigible et la période de prélèvement qui précède ce premier prélèvement ne sera pas prise en compte.

La responsabilité pour le transfert des fonds

L'article VII.90, § 2, précise que le prêteur continue de répondre des sommes qu'il a remises à l'intermédiaire de crédit, en exécution du contrat de crédit, jusqu'à ce qu'elles soient versées dans leur totalité au consommateur ou à un tiers désigné par le consommateur. Cette disposition avait fait l'objet d'une longue discussion en commission du sénat lors de l'adoption du texte initial de la LCC, en 1991

Cette responsabilité est de droit en ce qui concerne l'agent délégué. En effet ce dernier agit le plus souvent dans le cadre d'un mandat et le détournement des fonds par le mandataire dans l'exercice de son mandat engage directement la responsabilité du mandant. L'article vise donc plus spécifiquement le courtier de crédit.

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