VII.126, § 1: Collecte des informations (CH)
L'article VII.126, § 1
Commentaire
Le devoir de s'informer
C’est sur le professionnel que repose l’obligation de recueillir l’information adéquate pour apprécier l’opportunité d’accorder ou non le crédit. Le prêteur et l'intermédiaire de crédit sont tenus de demander les renseignements nécessaires. Le rôle du prêteur est un rôle actif. Il doit interroger le consommateur et les bases de données, vérifier les réponses reçues, poser le cas échéant de nouvelles questions ou demander des précisions, relever les erreurs et les incohérences et ensuite seulement prendre la décision d'octroi du crédit. Professionnels du crédit, le prêteur et l’intermédiaire savent quelles sont les informations qui leur sont nécessaires. Ils doivent donc interroger adéquatement le consommateur. Le consommateur, de son côté, n’est pas tenu d’une obligation de communiquer spontanément les informations sur sa situation financière mais il doit répondre de manière exacte et complète aux questions posées par le prêteur ou l'intermédiaire. L'étendue du devoir d'information du consommateur est, en d'autres mots, délimité par les questions du prêteur. Ce devoir actif avait déjà été relevé par une décision du tribunal de commerce de Bruxelles du 15 janvier 2008, dans le cadre du régime antérieur organisé par la loi du 4 août 1992 (Comm. Bruxelles, 15 janvier 2008, D.C.C.R., 2008, 90 et la note critique de VANDOOLAEGHE A., "De precontractuele informatieverplichting van de hypothecaire kredietverlener", p. 99).
Quelles informations les prêteurs et intermédiaires doivent-ils recueillir ?
C'est au prêteur de déterminer quelles sont les informations nécessaires pour évaluer la solvabilité du consommateur
C’est au prêteur qu’il incombe de déterminer les informations «nécessaires et suffisantes» dont il a besoin pour analyser la solvabilité. Ni le consommateur, ni la personne qui constitue la sûreté personnelle, n’assument de responsabilité dans ce choix. Dans l'affaire Arrêt Consumer FinanceC.J.U.E., 18 décembre 2014, CA Consumer Finance SA / Ingrid Bakkaus, Charline Bonato et Florian Bonato, ECLI:EU:C:2014:2464; Ann. Jur. Cr., 2012, p. 31 note J. VANNEROM, « Credit checks must not only be done, they must be seen to be done » CA Consumer Finance, la Cour de justice a relevé que la directive 2008/48/CE n’énonce pas de manière exhaustive les informations nécessaires et qu’elle ne précise pas non plus, si ces informations doivent être contrôlées et de quelle manière elles devraient l’être ; au contraire, constate la Cour, la directive accorde une marge d’appréciation au prêteur aux fins de déterminer si les informations dont il dispose sont suffisantes ou non, pour attester de la solvabilité du consommateur et s’il doit vérifier celles-ci au moyen d’autres éléments. C’est donc au prêteur d’apprécier «dans chaque cas et compte tenu des circonstances particulières de celui-ci, si les informations sont adéquates et en nombre suffisant ». Cela peut varier en fonction des circonstances, «de la situation personnelle du consommateur ou du montant visé par ce contrat». La directive 2014/17/UE (crédit hypothécaire) adopte sur cette question les mêmes principes que la directive en crédit à la consommation. Les enseignements de l'arrêt Consumer Finance devraient donc s'appliquer à la collecte des informations en crédit hypothécaire.
Les informations qui sont toujours nécessaires
Le § 2 de l'article VII.126 qui traite du questionnaire, précise que les questions posées doivent avoir au moins trait au but du crédit, aux revenus, aux personnes à charge, aux engagements financiers en cours comprenant entre autres le nombre et le montant débiteur des crédits en cours. C'est ainsi, par exemple, que commet un manquement le prêteur qui ne s'informe pas sur l'existence de pensions alimentaires (J.P. Arendonk, 29 septembre 2009, JJP 2012, p. 281, note de PATOUL, F. ).
En ce qui concerne l'identification des personnes, l'article VII.132 impose l'examen de la carte d'identité, du titre de séjour ou du passeport. Eu égard à la charge de la preuve qui repose sur le prêteur, le professionnel doit veiller à conserver une copie du document vérifié pour démontrer qu’il s’est acquitté de son devoir. Cela vaut pour l’emprunteur comme pour le tiers garant, qu’il s’agisse d’une sûreté personnelle ou d’une sûreté réelle. Le Code impose également de consulter la Centrale des Crédits aux Particuliers, selon les modalités prévues par le Roi (VII.133, § 1 al. 3).
Les données d’identification doivent obligatoirement comprendre le numéro du Registre National du consommateur ou de la personne qui constitue une sûreté, que les prêteurs doivent utiliser pour consulter la Centrale des crédits aux Particuliers (VII.150).
Enfin, et bien que cela ne soit pas explicitement prévu par la loi et que cela paraisse évident, la jurisprudence en crédit à la consommation a souligné que le prêteur comme l’intermédiaire doivent consulter leurs propres bases de données dans la mesure où elles permettent de contrôler les assertions du consommateur ou du tiers garant.
Les informations qu'il est interdit de collecter
La disposition commentée détermine certaines informations qu'il est impératif d'obtenir du consommateur (§ 2) et d'autres qu'il est interdit de collecter, en reprenant les traitements interdits par la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée : la race, l'origine ethnique, la vie sexuelle, la santé, les opinions ou activités politiques, philosophiques ou religieuses ou l'appartenance syndicale ou mutualiste. Cette disposition reprend l'interdiction de principe qui figure à l'article 6, § 1, de la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée. Quand bien même ces renseignements seraient-ils utiles pour l'appréciation de l'opportunité du crédit, ils ne peuvent être sollicités du consommateur, ni faire l'objet d'un traitement.
Ces interdictions ne paraissent pas poser de difficultés aux prêteurs à l’exception des questions relatives à la santé du consommateur par exemple lorsqu’une assurance (décès, ou solde restant dû) est proposée concomitamment à la conclusion du contrat. Ces assurances sont réalisées par le prêteur ou l’intermédiaire en qualité de courtier ou d’agent d’assurances d’une compagnie tierce. En pratique, deux types de polices peuvent être distinguées: les polices acceptées par l’assureur sur base d’une déclaration dite de bonne santé et celles acceptées sur base d’un questionnaire médical :
- Dans le premier cas, le prêteur et l’intermédiaire doivent attirer l’attention du consommateur sur la déclaration qui constitue un élément essentiel du contrat. A la lecture de celle-ci, le consommateur moyen doit être en mesure de déterminer s’il répond aux conditions. Il appartient au prêteur ou à l’intermédiaire, le cas échéant, de préciser l’interprétation de certaines conditions.
- Dans le second cas, le consommateur doit remplir un questionnaire. Ce questionnaire contient de facto des informations personnelles sur la santé du consommateur. En pareil cas et pour respecter l'interdiction légale, le questionnaire complété par le consommateur doit être transmis sous pli fermé à la compagnie d’assurances de sorte que le prêteur et/ou l’intermédiaire ne prendra pas connaissance des réponses.
Dans tous les cas, le prêteur ne peut conserver les données fournies par le consommateur relativement à sa santé, sur quelque support que ce soit.
Par ailleurs, le Code impose au prêteur de disposer d’informations sur l’origine des revenus et le but du crédit. Celles-ci peuvent avoir indirectement rapport avec l’état de santé du consommateur (allocations de mutuelle, incapacité de travail, financement d’un acte médical,…). La collecte de ces informations par le prêteur n’est pas incompatible avec l’interdiction énoncée à l’article VII.69, §2, alinéa 2 CDE [ VII.129, § 1er, 4°, (CH)]. Le prêteur tient compte de ces éléments dès lors qu’ils impactent la solvabilité et les conserve dans le dossier de crédit.
Les frais de santé doivent être omis de la liste des charges sur lesquelles il convient d'interroger le consommateur. L'administration estime, compte tenu de l’interdiction légale, qu'il est préférable que le prêteur n’interroge pas le consommateur sur ce type de frais. Le prêteur doit néanmoins s’assurer que le consommateur est en mesure de faire face à des dépenses normales relatives à la santé lors de l’évaluation de la solvabilité.
Les informations suffisantes
C'est au professionnel d'apprécier quels sont les renseignements suffisants, comme l'a relevé la Cour de Justice dans l'arrêt CA Consumer Finance. Selon le point 37 de l'arrêt, le caractère suffisant desdites informations peut varier en fonction des circonstances dans lesquelles intervient la conclusion du contrat de crédit, de la situation personnelle du consommateur ou du montant visé par ce contrat.
Rien que les informations nécessaires
L'article VII.126, § 1, al. 2, précise que ces demandes sont proportionnées et limitées à ce qui est nécessaire pour procéder à une évaluation appropriée de la solvabilité. C'est également ce que souligne implicitement le CDE pour les crédits à la consommation en précisant qu'il s'agit de recueillir les informations nécessaires et suffisantes. Il est donc contraire à la loi de solliciter du consommateur à l'occasion de l'évaluation de la solvabilité des informations qui ne sont pas nécessaires ou dans un autre objectif.
Le but du crédit
Information obligatoire
Le but du crédit est une information que le prêteur doit demander au consommateur. C'est prévu par l'article VII.126, § 2, al. 3, dans la liste des informations minimales que doit recueillir le questionnaire à remplir par le consommateur. C'est par ailleurs un des deux paramètres qui précisent la portée du devoir de conseil : il s'agit de proposer au consommateur le type de crédit le mieux adapté à la situation financière et au but du crédit (VII.131, §1er). S’il s’agit de financer un bien ou un service déterminé, la précision doit être obligatoirement reprise dans le contrat de crédit (VII.134, § 3, 2°). Le but du crédit doit mentionner non-seulement l’objectif mais également le montant que le consommateur souhaite emprunter. Il s’agit du montant initialement demandé par le consommateur et non du montant conseillé par le prêteur en exécution de l’article VII.75 CDE. Si le montant du crédit diffère du montant demandé initialement par le consommateur, le prêteur conserve la motivation de cette différence dans son dossier de crédit.
Le financement d'un bien ou d'un service
Le financement d’un bien ou d’un service requiert que le prêteur s’informe sur la nature exacte des dépenses, il demande pour ce faire une copie du bon de commande ou un estimatif détaillé du coût afin de déterminer le montant du crédit le plus adapté conformément à l’article VII.75 CDE [VII.131, § 1er] et le cas échéant de l’indiquer sur le contrat de crédit conformément à l’article VII.78, § 3, 2° [VII.134, § 3, 2°] .
Le refinancement de dettes existantes
Le refinancement de dettes existantes exige du prêteur qu’il s’informe plus particulièrement sur ces dettes. Il devra déterminer la raison pour laquelle le consommateur souhaite les refinancer. En effet, un refinancement entraine généralement des coûts supérieurs et n’est donc pas, dans de nombreux cas, économiquement avantageux, particulièrement lorsque l’opération entraine un allongement de l’amortissement de la dette. Il devra également interroger sur le but du ou des crédits dont le refinancement est demandé. Cette information permettra au prêteur d’éviter des crédits en cascade où un consommateur refinance périodiquement la même dette, s’endettant toujours un peu plus.
Emprunter pour prêter ?
Il n'est pas interdit au consommateur d'emprunter pour prêter à son tour. L'opération est légitime si elle est justifiée par le désir des parents de faire un don à unenfant, par exemple pour l'aider à s'établir ( STEENNOT R., note sous J.P. Antwerpen (8ème cant.), 18 juin 2013, T. J.P. 2015, 423; voy ég. Liège (10ème ch.), 19 juin 2007, J.L.M.B. 2009, 100). Le prêteur devra alors considérer les ressources propres des parents et considérer l'opportunité du crédit sur base de leurs seules ressources. Cette opération impose un devoir d'information particulier dans le chef du prêteur : il est du devoir du prêteur d'attirer l'attention des emprunteurs qu'ils sont les seuls débiteurs du prêt et que le tiers auquel le crédit est destiné ne pourra sans doute pas les rembourser (et en tous cas pas au rythme du remboursement du crédit) (STEENNOT R. note sous J.P. Antwerpen (8ème cant.), 18 juin 2013, JJP. 2015, 423). Il a été jugé en crédit à la consommation que viole néanmoins son devoir de conseil, le prêteur qui consent un crédit à un consommateur alors qu'il est informé que les fonds serviront à un tiers qui n'a plus accès au crédit par exemple en raison d'un fichage à la Centrale des Crédits aux Particuliers. Par contre, les consommateurs qui réalisent cette opération à l'insu du prêteur doivent supporter les conséquences de leur imprudence et il n'y a pas lieu de réduire les pénalités applicables conformément à la loi (J.P. Grâce-Hollogne, 19 juin 2007, J.L.M.B., 2008, 126).
Le prêteur doit tenir compte des informations en sa possession
Le prêteur doit également tenir compte des informations déjà en sa possession (J.P. Zottegem, 18 décembre 1997, D.C.C.R. 1998, p.139; Civ. Bruges (10ème Ch.), 20 mars 1998, J.J.P., 1998, 589) (sa propre base de données) par exemple s’il est ou a été en relation d’affaires avec le consommateur antérieurement à la demande de crédit. L’existence de relations antérieures peut, par contre, dispenser le professionnel de certaines vérifications directement auprès du demandeur de crédit (les mentions d’identification par exemple). Sur base de l’historique de sa relation avec le consommateur, le prêteur appréciera la bonne exécution de crédits antérieurs etc. Le seul fait qu’un crédit antérieur soit régulièrement remboursé ne dispense cependant pas le prêteur d’un réexamen de la situation du consommateur (Vred. Courtrai, 7 avril 1998, Ann. Cr., 1998, p. 141). S’il a déjà accordé des crédits au cours des mois qui précèdent, le prêteur doit se montrer plus vigilant (Civ. Bruges, 20 mars1998, J.J.P., 1998, p. 589 et Ann. Cr., 1998, p. 131).
Appréciation par la jurisprudence (Crédit à la consommation)
L'étendue du devoir de s'informer est illustrée par la jurisprudence et la doctrine en matière de crédit à la consommation : le professionnel a ainsi le devoir d'interroger le consommateur sur :
- ses revenus constants et occasionnels (J.P. Saint-Nicolas, 20 février 1997, D.C.C.R., 1997, p. 157;J.P. Anderlecht (3ème Cant.), 2 juillet 1997, R.D.C.., 1998, 39, 116),
- ses charges : c'est à dire notamment :
- son loyer (J.P. Courtrai, 26 septembre 2000, Ann. Cr., 2000, p. 73; J.P. Courtrai 28 juin 2005, Ann. Crédit, 2005, 34)
- la composition du ménage (J.P. Courtrai, 17 décembre 1996, Ann. Cr., 1996, p. 187: “In het dossier vinden wij geen enkele inlichtingen die betrekking heeft op de uitgaven van het gezin. Op die wijze kan eiseres geen gegrond oordeel gevormd hebben over de terugbetalingsmogelijkheden van verweerders”; (trad :"Le dossier ne contient aucune information relative aux dépenses de la famille. De cette façon, le demandeur ne peut pas s'être forgé une opinion valable sur les possibilités de remboursement des défendeurs), J.P. Merksem, 20 avril 2000, J.J.P., 2002,p.118).
- les obligations alimentaires ;
- ses dettes : la simple consultation du fichier de la Centrale des Crédits ne suffit pas. De nombreuses dettes ne sont pas renseignées dans la Centrale et le professionnel a le devoir de vérifier qu'il n'existe pas d'autres dettes (impôts, pension alimentaires arriérées, dettes de consommation d'énergie, arriérés de loyers...) (J.P. Antwerpen, (3ème Cant.), 2 juillet 1997, D.C.C.R., 1998, 116: “op de aanvraag tot het bekomen van kredietkaart is enkel geïnformeerd naar het inkomen en het onroerend bezit, maar niet naar hun leninglast en andere bestaande schulden, die er zeker waren en welin die mate dat verweerders nooit het krediet hadden mogen verkrijgen” trad.: sur la demande pour obtenir une carte de crédit, seuls les revenus et les biens immobiliers ont été informés, mais pas leur charge d'emprunt et les autres dettes existantes, qui étaient certaines et dont l'importance n'aurait pas permis aux défendeurs d'obtenir le crédit).
- Les actifs du consommateur (propriété immobilière, valeurs mobilières,…) n’interviendront qu’accessoirement dans l’appréciation de la situation du consommateur. Le crédit servant à financer des biens de consommation doit – en principe, et sauf circonstances particulières - se rembourser au moyen de revenus réguliers et non par la réalisation d’actifs.
- La question de savoir si le professionnel doit interroger le consommateur sur l’épargne qu’il a constituée est controversée. Si le consommateur ne peut renseigner aucune épargne, faut-il en déduire qu’il ne dispose d’aucune capacité de remboursementpour souscrire un crédit? A cette question, la réponse est très généralement négative: l’absence d’épargne n’est qu’une information parmi toutes celles qui sont soumises à l’appréciation du prêteur.
- Le professionnel commettrait une faute s'il se contentait d’interroger la Centrale des Crédits et de demander une fiche de salaire sans poser d’autres questions sur la situation familiale, les charges courantes, et les emprunts en cours (J.P. Vilvorde, 28 juin 2001, Ann. Cr., 2001, p. 158).
Obligation de résultat, charge de la preuve
Comme en crédit à la consommation, la recherche des renseignements est une obligation de résultat : le prêteur doit obtenir tous les renseignements nécessaires et suffisants. S'il ne peut les obtenir, il est tenu de refuser le crédit. Il est d'ailleurs tenu d'en aviser le consommateur, dès le départ : Le prêteur ou l'intermédiaire de crédit avertit le consommateur que, lorsque le prêteur n'est pas en mesure d'effectuer une évaluation de la solvabilité parce que le consommateur choisit de ne pas fournir les informations ou les éléments de vérification nécessaires à l'évaluation de la solvabilité, le crédit ne peut lui être accordé. Cet avertissement peut être transmis sous une forme standardisée.
Le prêteur ne pourrait se dégager de son obligation en reportant sur le consommateur par une clause adéquate l’obligation de communiquer toutes les informations concernant sa solvabilité. Une telle clause est interdite par l’article 2, § 4 du Code en ce qu’elle aggrave les obligations du consommateur envers le prêteur. Par contre, La clause usuelle par laquelle le consommateur déclare que chaque renseignement est complet et exact, n'a pas pour effet d'atténuer la responsabilité du prêteur (J.P. Izegem, 6 janvier 1999, Ann. Cr., 1999, p. 53, note Jozef T’Jampens). Elle n’aggrave pas davantage l’obligation du consommateur qui doit communiquer des renseignements exacts et complets.
L'obligation de résultat, consacrée par le texte légal, oblige donc les professionnels à apporter la preuve de la bonne exécution de leur obligation de recueillir toutes les informations nécessaires pour l'octroi de crédit (VAN DEN STEEN, L. note sub J.P. Courtrai, 31 octobre 2006, Ann. Cr., 2006, 30). Dans cette mesure, il paraît indispensable de faire signer au consommateur le document écrit (le questionnaire prévu au paragraphe 2 de l'article VII.126) sur lequel sont repris tous les renseignements qui lui ont été demandés. A défaut de confirmation par le consommateur des éléments essentiels sur lesquels repose la décision d'octroi de crédit, le prêteur pourra difficilement justifier la bonne exécution de l'obligation que la loi met à sa charge.
Rôles respectifs du prêteur et de l'intermédiaire
Le prêteur peut déléguer à son intermédiaire le soin de réaliser certains devoirs d’enquête. Le prêteur reste cependant intégralement et solidairement, avec l’intermédiaire, responsable du déroulement de cette phase. Lorsqu’il recourt à un intermédiaire, le prêteur veille à s’assurer de la qualité du travail fourni par celui-ci: il met en place des procédures destinées à s’assurer que ses intermédiaires exécutent rigoureusement la phase d’enquête.
La vérification des déclarations du consommateur
Devoir de vérification
Le prêteur et l'intermédiaire ont le devoir de vérifier les informations qu'ils recueillent auprès du consommateur. Selon l'article VII.126, § 4,Les informations sont vérifiées de façon appropriée, en se référant notamment et si nécessaire, à des documents vérifiables de manière indépendante. Les prêteurs doivent contrôler la cohérence des informations qu'ils reçoivent. Les prêteurs peuvent demander des précisions sur les informations reçues en réponse à ces demandes si cela s'avère nécessaire pour permettre l'évaluation de la solvabilité (VII.126, § 1, al. 2). Ceci suppose qu’ils réclament au consommateur des informations complémentaires si nécessaire ou s’ils constatent des incohérences (absence de loyer parmi les charges) ou des omissions (formulaire incomplètement rédigé) par exemple. Ils doivent éventuellement compléter les renseignements que fournit le consommateur par ceux dont ils auraient connaissance par ailleurs ou qui résulteraient de l’examen de leurs propres bases de données. Ils doivent s’assurer de la signature du consommateur sur le formulaire de demande de crédit ou de demande de renseignements à défaut de quoi celui-ci doit être considéré comme dépourvu de valeur probante.
Le prêteur peut-il se fier aux déclarations du consommateur ?
Le prêteur peut-il se fier aux réponses données par les emprunteurset fonder son appréciation de la solvabilité de ces emprunteurs sur leurs seules déclarations ? C'est une des questions préjudicielles posées par le tribunal d'instance d'Orléans à la CJUE dans l'affaire Consumer Finance. Selon la Cour, de simples déclarations non étayées faites par un consommateur ne peuvent, en elles-mêmes, être qualifiées de suffisantes si elles ne sont pas accompagnées de pièces justificatives. La Cour en tire la conclusion que l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2008/48 doit être interprété en ce sens, d’une part, qu’il ne s’oppose pas à ce que l’évaluation de la solvabilité du consommateur soit effectuée à partir des seules informations fournies par ce dernier, à condition que ces informations soient en nombre suffisant et que de simples déclarations de celui-ci soient accompagnées de pièces justificatives, et, d’autre part, qu’il n’impose pas au prêteur de procéder à des contrôles systématiques des informations fournies par le consommateur.
En crédit hypothécaire, le devoir de vérification des déclarations du consommateur est repris à l'article 20.1., in fine, de la directive 2014/17/UE : Les informations sont vérifiées de façon appropriée, en se référant notamment à des documents vérifiables de manière indépendante, le cas échéant.Il est transposé à l'article VII.126, § 2,al.3 : Le prêteur et, le cas échéant l'intermédiaire de crédit précise de manière claire et simple, au stade précontractuel, quelles sont les informations nécessaires et quelles sont les pièces justificatives provenant de sources indépendantes vérifiables, que le consommateur doit fournir, et dans quel délai le consommateur doit fournir ces informations.
Si les relations avec le consommateur durent depuis plusieurs années sans incidents, le prêteur pourrait, sous sa responsabilité, se fonder sur la confiance née de ces années de relations. En pareil cas, l'historique des relations et notamment, les mouvements opérés sur le compte, peuvent être considérés comme des justificatifs, sous l'entière responsabilité du prêteur.
Moins le prêteur et l'intermédiaire connaissent le consommateur, Plus il est prudent de réclamer des justificatifs qui seront conservés dans les dossiers de crédit. Il s'agira par exemple des documents suivants:
- Les preuves de revenus les plus récentes du consommateur pris en compte dans l’évaluation de la solvabilité (fiches de paie, avertissement extrait de rôle,…)
- Les justificatifs concernant l’habitation du consommateur (bail, paiement d’un loyer, preuve de propriété,…)
- Les documents d’identité visés à l’article VII.76 CDE
- Lorsque le consommateur est débiteur d’une ouverture de crédit, les 3 derniers relevés de cette ouverture de crédit.
Tout autre document est demandé par le prêteur lorsqu’il est nécessaire de préciser certaines réponses ou des éléments plus complexes. Par exemple:
- Les jugements prévoyant le versement d’une pension alimentaire au bénéfice ou à la charge du consommateur
- Les décomptes de remboursement anticipé de crédits refinancés
Vérifications auprès de tiers ?
Le prêteur peut-il effectuer des vérifications auprès de tiers ? La réponse est affirmative et ne requiert pas l'accord du consommateur, s'il s'agit de consulter la Centrale des Crédits aux Particuliers ou la base de données d'un assureur crédit. Pour d'autres tiers, l'accord préalable du consommateur est indispensable, par exemple s'il s'agit de vérifier la réalité d'un contrat d'emploi auprès de l'employeur (D. BLOMMAERT, «De aansprakelijkheid van de kredietverlener en de –bemiddelaar bij het toekennen van consumentenkredieten» note sub J.P. Merksem, 29 juin 1995, JJP., 1996, 162).
Prudence renforcée
Ce devoir de contrôle et d’analyse sera renforcé s’il existe des indices particuliers ou si le prêteur ne peut se baser sur une relation d’affaires continue avec le consommateur. Tel sera le cas s’il existe des omissions ou si le crédit sert à en rembourser un autre et a fortiori si celui-ci n’a pas été correctement exécuté. Le prêteur doit constater par exemple à la lecture de la fiche de paie que des retenues, des cessions ou des saisies sont déjà effectuées sur les revenus du demandeur. La copie de l’avertissement-extrait de rôle et de la fiche de salaire du mois écoulé sont des renseignements usuellement demandés. Le fait que le consommateur se déplace d'assez loin pour solliciter un crédit doit susciter l’attention du prêteur ou de l’intermédiaire. Hormis ces hypothèses, le prêteur n’a pas l’obligation de pratiquer le doute systématique. S’il pose les questions nécessaires pour apprécier la capacité du consommateur de remplir ses obligations, il est également en droit de se fonder sur l’obligation du consommateur de fournir des réponses complètes et exactes. L’administration a mis en évidence divers indicateurs d'alerte qui appellent une prudence accrue dans l'évaluation de la solvabilité, et notamment :
-
L’utilisation de la totalité du montant mis à disposition par une ouverture de crédit en cours. Lorsqu’un consommateur éprouve des difficultés financières, il est tenté de prélever sur ses ouvertures de crédit. Ces prélèvements lui permettent de maintenir un niveau de vie supérieur à ses capacités financières. L’utilisation maximale d’une ouverture de crédit peut être le signe d’un déséquilibre dans le budget du consommateur.
- Le prélèvement systématique des montants rendus disponibles par le paiement d’un montant de terme de l’ouverture de crédit de sorte que le solde restant dû du crédit ne diminue pas. Une fois l’échéance du zérotage atteinte, le consommateur, dans l’incapacité de rembourser, fait défaut. La connaissance du consommateur par le prêteur est élément déterminant. Le prêteur doit déterminer le solde restant dû de tous les crédits lors de l’enquête sur la situation financière du consommateur. Si le montant d’une des ouvertures de crédit en cours est (quasiment) entièrement prélevé, le prêteur doit interroger le consommateur sur l’historique des prélèvements.
- Le remboursement avec retard des échéances d'un crédit.
- La souscription de plusieurs crédits dans un délai rapproché (moins d’un an) peut être révélatrice d’un début de surendettement. Le consommateur ne parvient peut-être plus à faire face à ses dépenses courantes et les finance à crédit. Le prêteur doit être plus vigilent lors de l’octroi d’un crédit à un consommateur qui se trouve dans cette situation. Le prêteur peut se rendre compte de cette situation par la consultation de la Centrale des Crédits et il doit, en conséquence interroger le consommateur sur les causes de cette situation notamment en comparant les buts des différents crédits.
- Le consommateur demande un crédit pour faire face à son obligation de zéroter. Il s’agit d’un refinancement de crédit ce qui doit amener le prêteur à redoubler de prudence. Le prêteur ne peut octroyer une nouvelle ouverture de crédit pour solder une autre ouverture de crédit. Le refinancement de l’ouverture de crédit qui arrive à son délai de zérotage doit être réalisé au moyen d’un crédit avec amortissement et à durée déterminée. Il s’agit du seul type de crédit adapté à la situation financière du consommateur.
- La demande de liquidité sans justification de l'utilisation
- Un nombre important d'ouvertures de crédit. Le fait que le consommateur ait souscrit un nombre important de contrats d’ouvertures de crédit ou que le montant total des ouvertures de crédit dépasse une part substantielle de ses revenus, par exemple le montant de ses revenus annuels nets, doit attirer l’attention du prêteur. Le prêteur doit évaluer la capacité du consommateur à faire face à ses obligations, particulièrement en ce qui concerne la capacité de zérotage.
Les limites du devoir de s'informer
Ce rôle actif connaît aussi certaines limites. On ne peut exiger du prêteur qu’il se transforme en détective ou en véritable enquêteur. Il n’a donc pas le devoir d’investiguer dans les comptes du consommateur pour apprécier l’évolution de ses revenus ou sa capacité d’épargne. Ainsi, il n’est pas requis que le prêteur examine les extraits de compte et les carnets de dépôts afin d’apprécier les capacités de remboursement, ni qu’il examine les biens mobiliers saisissables ce qui serait une intrusion dans la vie privée « Le banquier, s’il a une obligation de conseil envers son client, n’a cependant pas à s’immiscer dans les affaires de celui-ci, ni à observer le fonctionnement de ses activités pour prendre l’initiative de lui proposer des possibilités complémentaires de crédit».
Obligations du consommateur
Le rôle du consommateur dans l'échange d'informations précontractuelles
Le consommateur est tenu de fournir des réponses exactes et complètes aux questions que lui pose le prêteur. Le principe est posé à l’article VII.126, § 1. Il est donc unanimement considéré par la jurisprudence en crédit à la consommation que commet une faute grave le consommateur qui dissimule des informations. De surcroît, l’obligation de fournir des renseignements complets met à charge du consommateur un certain devoir d’initiative puisqu’à ce moment et de par les questions posées, le consommateur est en mesure d’apprécier la nature des informations que le prêteur recherche. En communiquant sa dernière fiche de rémunération sans préciser qu’un licenciement est intervenu depuis lors, le consommateur ne répond pas de manière complète à la question du prêteur relative aux revenus professionnels (Civ. Gand, 6 avril 2001, inéd. cité par D. BLOMMAERT, “De bescherming van de kredietnemer in het kredietrecht”, op.cit., p. 101, n°17). Le renseignement complet est donc un renseignement qui peut aller au-delà de la sollicitation littérale du prêteur.
Le devoir du consommateur est souvent décrit comme un devoir passif dans la mesure où le consommateur n’a pas le devoir de communiquer spontanément des informations au prêteur et qu’il lui suffit de répondre de manière complète et exacte aux questions que ce dernier lui pose. (applications très fréquentes dans la jurisprudence relative aux crédits à la consommation. Voy. décisions par. ex., J.P. Audenarde - Kruishoutem, 11 juillet 2016, J.J.P. 2016, 569, note STEENNOT R.; J.P. Oudenaarde-Kruishoutem, 13 février 2014, J.J.P., 2015, p. 437.).
Les dispositions du CDE sur les crédits réglementés ne font pas disparaître l’obligation de bonne foi. Si le consommateur a connaissance d’autres informations (dont il sait ou doit savoir qu’elles ont une incidence sur l’octroi de crédit, notamment parce qu'elles affectent sa capacité de remboursement) mais qui ne sont pas de celles que le professionnel est censé demander ou qui sont de celles qu’il lui est interdit de solliciter (article VII.126, § 1, in fine), il appartient au consommateur, de fournir une réponse complète et d’en informer le prêteur.
Ainsi, le consommateur, affecté par une maladie qui altérera sensiblement et à bref délai ses revenus professionnels, commettrait une faute en contractant un prêt étalé sur plusieurs années en celant cette information et alors qu’il est interdit au professionnel d’interroger le candidat emprunteur sur son état de santé (VII.126, § 1er, alinéa 4). C'est par contre au prêteur, sollicité par un consommateur qui est proche de l'âge de la pension, de s'interroger sur la capacité de remboursement du consommateur lorsqu'il sera retraité. De même, s'il prend en considération les allocations familiales (et donc également les charges d'éducation et d'entretien) d'enfants en fin de parcours scolaire, il doit également s'interroger sur la capacité de remboursement lorsque ces allocations disparaîtront alors que la cohabitation et la charge qui en découle ne prendra pas nécessairement fin.
Les fautes avérées du consommateur n'entraînent pas nécessairement l'application des pénalités et intérêts majorés. Dans une décision du 9 août 2016, le juge de paix de Sprimont a considéré qu'à côté des déclarations incomplètes du consommateur, il y avait un manquement avéré dans le chef du prêteur de s'informer sur toutes les déclarations du consommateur. Même sur base des informations particulièrement sommaires dont disposait le prêteur, le juge a constaté que le crédit n'aurait pas dû être consenti. En conséquence, il réduit la condamnation du consommateur au montant emprunté à majorer des intérêts au taux légal mais sans termes et délais (9 août 2016, Ann. Jur. 2016, p. 175). Le juge de paix de Florennes a estimé que la faute du prêteur et la mauvaise foi du consommateur justifiaient la limitation des intérêts aux intérêts judiciaire et le maintien des remboursements par le consommateur aux montant mensuel prévu dans le contrat. (J.P. Florennes, 27 juin 2016, J.J.P. 2016, 518).
Les informations précontractuelles recueillies auprès des personnes constituant une sûreté personnelle
Les professionnels ont également le devoir de s’informer sur la situation financière et les facultés de remboursement des personnes qui constituent une sûreté personnelle. Ce devoir de s'informer a pour conséquence qu’au cas où les informations recueillies démontreraient que la situation financière du tiers qui constitue la sûreté personnelle ne lui permet pas de rembourser en cas de défaut du consommateur, le prêteur devrait refuser son engagement. Le Code crée ainsi à charge des prêteurs une responsabilité qui est inconnue du droit commun. Il est en effet généralement admis que la solvabilité de la caution n’est pas une condition de l'engagement du tiers garant (F. T’KINT, op. cit., p. 380, n° 767).
La loi du 3 juin 2007 relative au cautionnement à titre gratuit a cependant prévu une exigence de proportionnalité spécifique. L’examen de la proportionnalité de l’engagement de sûreté personnelle avec les capacités financières de celle-ci n’est pas réalisé sur les mêmes critères que celui qui est opéré dans le chef du consommateur. En effet, s’agissant de la sûreté personnelle, il conviendra d’examiner si elle sera en mesure de faire face au remboursement intégral du montant du crédit en cas de défaut de paiement du consommateur et non de vérifier si son budget lui permet de supporter le coût du crédit. Il en résulte d’une part, qu’il ne faudra pas avoir égard aux facultés de remboursement du débiteur garanti puisque, par hypothèse, celui-ci sera défaillant et, d’autre part, que la situation financière de la sûreté personnelle sera essentiellement appréciée sur base de ses capacités d’épargne ou sur la composition active et passive de son patrimoine plutôt que sur le montant de ses revenus. Les revenus du garant ne peuvent pas être cumulés avec ceux du débiteur principal pour apprécier la capacité de remboursement. Ce cumul est par contre admis lorsque deux consommateurs qui vivent ensemble souscrivent un crédit solidairement (note C. BIQUET MATHIEU, JJP. 2008, Cass 7 janvier 2008, p.284 et suiv.).