VII.102 - 104 et VII.147/17 - /19 : Cession du contrat de crédit
Les textes des dispositions commentées
Cadre général
Le régime organisé par les articles VII.102 à VII.104 en crédit à la consommation et les articles VII.147/17 à VII.147/19 pour les contrats de crédit hypothécaire à but mobilier, s'applique à tous les contrats de crédit visés à l'exception de certains contrats partiellement régis (article VII.3, § 2, 1° (crédit de moins de 200 euros), 2° (facilités de découvert remboursables dans un délai d’un mois), et 4° (dépassements).
L'article 25 de la LCC (repris sans changement sous l'article VII.102) était considéré comme d'ordre public (J.P. Merelbeke, 28 juin 2005, Ann. Crédit, 2005, p. 74; NjW 2005, 928, note STEENNOT, R.). Ce constat reste valable pour les articles VII.102. Il doit être étendu à l’article VII.147/17 qui applique la même règle aux crédits hypothécaires. Il s'agit autant de garantir que le consommateur continuera de bénéficier du niveau de protection organisé par le Code en cas de cession que de favoriser la concurrence et de permettre le contrôle du marché du crédit au sens large.
Les contrats de crédit hypothécaire à but immobilier échappent au régime de cession à des tiers qualifiés. Il s’agit de conserver plus de souplesse pour le refinancement de ces créances qui constituent le principal groupe des créances bancaires qui sont refinancées par la titrisation ou l’émission de «covered bonds». (voir l’explication reprise dans l’exposé des motifs de la loi du 22 avril 2016).. L'exposé des motifs précise toutefois : Ceci étant dit, l’attention doit être attirée sur le fait que toutes les entreprises qui reprennent les crédits hypothécaires, qu’il s’agisse d’une destination mobilière ou immobilière, restent soumises à l’obligation d’agrément ou d’enregistrement visée à l’article VII.159, § 3 (Doc.Parl., Ch. Repr, Sess. 54, 1685/001, p. 51). C'est ce que précise cet article qui ajoute que le cessionnaire est également soumis aux dispositions des articles VII.123 à VII.125 et VII.147/21.
Cession et subrogation
Le Code règle deux modes de transfert : la cession de créance et la subrogation.
La subrogation opère de la volonté des parties ou par la loi suite à un paiement effectué au créancier et qui transfère la créance et ses accessoires. La subrogation n'intervient qu'à concurrence du montant payé et le solvens ne peut donc réclamer au débiteur plus que ce qu'il a lui-même payé au créancier originaire.
La cession de créance opère le transfert en vertu d'une convention ce qui implique que l'accord du créancier est toujours requis alors que par ailleurs, le paiement n'est pas de l'essence de la cession.
Les dispositions spécifiques du Code ont pour effet de rendre en pratique ces modes de cession très similaires même si en droit commun des distinctions subsistent. Dans les deux cas, la créance est transmise avec tous ses accessoires (sûretés personnelles et réelles, clauses pénales, intérêts de retard, cession de rémunération, etc.).
Transferts au profit de tiers agréés
Les articles VII.102 et VII.147/17 limitent la possibilité de transférer le contrat ou la créance résultant du contrat de crédit par cession ou subrogation, à certains tiers qualifiés:
- les prêteurs agréés ou enregistrés par la FSMA; la condition d'agréation ou d’enregistrement doit exister au moment de la cession ou de la subrogation. L'obtention d'un agrément postérieurement ne peut régulariser une cession faite à un tiers non agréé.
- la Banque Nationale de Belgique;
- le Fonds de protection des dépôts et des instruments financiers;
- les assureurs de crédit;
- les organismes de placement en créances visés par la loi du 3 août 2012 aux organismes de placement collectif qui répondent aux conditions de la Directive 2009/65/CE et aux organismes de placement en créances;
- les autres personnes que le Roi désigne à cet effet; selon l’article 1er de l’AR du 13 juillet 2017 (qui s’est substitué à un précédent AR du 5 mai 2006): Le contrat de crédit ou la créance résultant de ce contrat visés aux articles VII.102 et VII.147/17 du Code de droit économique peuvent être cédés à, ou, après subrogation, être acquis par les personnes qui exercent une activité de recouvrement amiable de dettes du consommateur et qui, à cet effet, conformément à l'article 4, § 1er, de la loi du 20 décembre 2002 relative au recouvrement amiable des dettes du consommateur, sont inscrites auprès du Service public fédéral Economie, P.M.E., Classes moyennes et Energie.
Avant l’arrêté royal de 2006, les sociétés de recouvrement n'avaient pas d'autre alternative que de demander un agrément en qualité de prêteur. Cette demande avait pour conséquence notamment d'ouvrir l'accès de la Centrale des Crédits aux Particuliers à des entreprises qui n'avaient aucune activité de prêt. C'est une des raisons qui a conduit à l'adoption de l'arrêté royal. Le fait d'être inscrit comme cessionnaire ne permet pas l'accès à la Centrale.
L'assurance-crédit
Conformément à l'article 139 de la loi du 4 avril2014 relative aux assurances, Tous les droits et actions de l'assuré relatifs à la créance faisant l'objet de l'assurance sont transférés à l'assureur qui a indemnisé, même partiellement, l'assuré, soit en l’occurrence, le prêteur.
L'assureur qui a indemnisé n'est donc pas limité dans son action par le montant payé à l'assuré. L'article 139 précise que sauf convention contraire, toutes les sommes récupérées après sinistre sont réparties entre l'assureur et l'assuré proportionnellement à leurs parts respectives dans la perte. Ce même article dispense l'assureur crédit de l'application des articles 1689 et svts du Code civil.
Sanction de la cession à un tiers non qualifié
Les VII.196 (CC) et VII.210 (CH) précisent que les obligations du consommateur sont réduites de plein droit au prix au comptant du bien ou du service, ou au montant emprunté lorsque la cession du contrat ou bien la cession ou la subrogation des droits découlant d'un contrat de crédit a eu lieu au mépris des conditions posées par les articles VII.102 ou VII.147/17.
Cette sanction s'applique dans les rapports entre le consommateur et le prêteur cédant envers lequel le consommateur reste tenu, la cession étant inopérante à son égard puisque interdite par la loi.
L'action du cessionnaire auquel le contrat a été cédé en violation des dispositions commentées sera dès lors sans fondement. Faisant application de ces principes, le juge de paix de Merelbeke (28 juin 2005, Ann. Crédit, 2005, p. 74; NjW 2005, 928, note STEENNOT, R.) a prononcé la nullité de la cession et a réduit le montant de la dette du consommateur au montant emprunté. Le juge relève en outre que la cession pourrait être régularisée mais que dans ce cas, le prêteur ne peut céder que la créance qu'il détient encore ainsi réduite au montant emprunté.
Opposabilité de la cession
Principe
La cession ou la subrogation n'est opposable au consommateur qu'après que ce dernier en a été informé par envoi recommandé (VII.103 – VII.147/18).
Le formalisme que la loi impose est plus strict que celui que prévoit l'article 1690 du Code civil qui n'exige qu'une simple notification au débiteur cédé ou une reconnaissance de la cession par celui-ci. Les dispositions visent également la subrogation qui, en droit commun, ne requiert aucun formalisme.
Le Code requiert un envoi recommandé. Le transfert par suite d'une absorption du prêteur qui fait l'objet d'une publication aux annexes du Moniteur belge ne suffit pas à rendre la cession opposable : la notification prévue par l'article VII.103 est nécessaire à l'égard de tous les consommateurs (J.P. Merksem, 2 octobre 1997, J.J.P. 200, 134).
Première exception
Le formalisme de l'envoi d'une lettre recommandée n'est pas requis mais est remplacé par un formalisme dans la rédaction du contrat lorsque le prêteur veut céder ou transférer immédiatement sa créance par subrogation.
Il faut donc une clause contractuelle qui précise que le prêteur transfère ses droits à un tiers par cession ou subrogation. Cette clause ne dispense toutefois de l'envoi recommandé qu'à la condition qu'elle contienne les nom, prénom ou la dénomination sociale, le domicile ou le siège social de la personne à laquelle le contrat est cédé, ou qui est subrogée dans les droits du prêteur initial.
Seconde exception - maintien de la gestion par le prêteur
Dans certains cas, la cession est opérée sous condition du maintien des obligations du prêteur pour la gestion du crédit. Dans ce type de convention, le consommateur n'est pas informé de la cession et le prêteur reste l'interlocuteur du consommateur. Dans cette hypothèse la notification n'est pas requise (VII.103 et VII.147/18, in fine).
Moment de la notification
En crédit à la consommation, certaines décisions ont admis la validité d'une cession portée à la connaissance du consommateur dans l'exploit de citation qui lui est signifié (J.P. Zottegem 25 mai 2000, Ann. Crédit 2000, 133 et J.P. Grimbergen 22 septembre 2004, Ann. Crédit, 2004, 93) si et pour autant que la citation contienne un avertissement explicite.
D'autres décisions ont estimé que l'article VII.103 (art. 26 LCC) impose le respect de la formalité spécifique qu'il énonce et que cette notification doit être antérieure à la citation (J.P. Gand, (VII), 22 décembre 1997 cité par BLOMMAERT D. en NICHELS F., Kroniek van het consumentenkrediet (1995-1999), T.B.H. 2000, p. 105; Civ. Gand (9ème Ch.), 17 mai 2002, D.C.C.R., n°62, p.66 et note E. VAN DEN HAUTE, "L'opposabilité de la cession de la créance au débiteur cédé dans le cadre de la loi relative au crédit à la consommation : article 26 de la loi du 12 juin 1991 versus article 1690 du Code civil", D.C.C.R. n°62, 69). Cette position est critiquée par une majorité de la doctrine (SAGAERT V., op.cit., p.327 et les références citées) qui relève que c'est ajouter une condition d'antériorité que la loi ne prévoit pas.
Pouvoirs du juge
Selon le juge de paix de Grimbergen, l'article 26 LCC (VII.103, CDE) étant impératif mais pas d'ordre public, le juge ne peut soulever d'office l'absence de notification si le consommateur n'évoque pas l'argument (J.P. Grimbergen, 22 septembre 2004, Ann. Crédit 2004, 93).
Pour le juge de paix de Gand (J.P. Gand, 12 février 2001, D.C.C.R., n°62, 63), il s'agit d'une disposition d'ordre public qu'il appartient au juge de soulever d'office (voy. les critiques de E. VAN DEN HAUTE, "L'opposabilité de la cession de la créance au débiteur cédé dans le cadre de la loi relative au crédit à la consommation : article 26 de la loi du 12 juin 1991 versus article 1690 du Code civil", D.C.C.R. n°62, 69).
Le caractère d'ordre public de la disposition semble discutable. Par ailleurs, même impérative, le juge doit soulever d'office l'exception selon la jurisprudence de la Cour de cassation (voir le commentaire de l'article VII.2, § 4).
Avis de l'administration
L'administration a considéré qu'il y avait violation de l'article VII.103 de la loi lorsque suite à une absorption, une banque avait transféré 7.793 clients d'une ouverture de crédit avec la carte X vers une filiale spécialisée (laquelle avait en outre modifié les termes des contrats d'ouverture de crédit pour les adapter à sa politique propre). Un tel transfert impose l'envoi d'une lettre recommandée, ce qui n'avait pas été fait.
Opposabilité des exceptions
Genèse du texte
La règle des articles VII.104 et VII.147/19 était reprise à l’article27 LCC. Elle provient à l’origine de l'article 9 de la directive 87/102/CEE du 22 décembre 1986 qui précisait : lorsque les droits du prêteur au titre d'un contrat de crédit sont cédés à un tiers, le consommateur peut faire valoir à l'égard de ce tiers les mêmes exceptions et défenses qu'il pouvait invoquer à l'égard du prêteur initial, y compris le droit à compensation pour autant que celle-ci soit autorisée dans l'État membre concerné. La règle a été confirmée dans la directive 2008/48/CE en son article 17.1. Elle reflète la préoccupation de maintenir le niveau de protection du consommateur nonobstant les cessions entre opérateurs qui sont fréquentes en matière de crédit à la consommation (titrisation, assurance-crédit, etc).
Le texte a été légèrement modifié à l'occasion de la réforme de 2003 pour assurer la protection du consommateur tant à l'égard du prêteur initial qu'à l'égard du vendeur à tempérament ou du crédit-bailleur qui cèdent immédiatement leur créance et que l'article 1, 3) qualifie d'intermédiaires.
Portée du texte
Les articles VII.104 et VII.147/19 assure une protection plus large du consommateur que le droit commun. Ainsi le consommateur peut-il invoquer les moyens de défense qu'ils soient nés avant (droit commun) ou après la notification de la cession ou de la subrogation. Cette disposition déroge au régime d'opposabilité des exceptions en cas de cession de créances bancaires tel que fixé à l'article 6, §§ 2 et 3, de la loi de mobilisation du 3 août 2012 (JOOSTEN, P. "Les sûretés", in Le crédit hypothécaire au consommateur, ULG/UCL, Larcier, Coll. Patrimoine et notariat, 2017, p. 367). Jugé ainsi qu'un consommateur peut opposer à l'assureur crédit, l'exception fondée sur des paiements effectués avant la signature du contrat de crédit (art. 16 LCC- VII.90 CDE) (Gand (2e ch.), 21 septembre 2011, D.C.C.R., 2012, n° 96, p. 75-82). La restitution des sommes payées avant la signature ne peut dans ce cas être réclamée qu'au prêteur et non à l'assureur-crédit, subrogé dans ses droits. La cession de la créance n'entraîne pas le transfert de toutes les obligations liées à la créance (Gand (2e ch.), 21 septembre 2011, D.C.C.R., 2012, n° 96, p. 75-82)
En précisant que toute clause contraire est réputée non écrite, la loi interdit par ailleurs que le consommateur renonce au droit d'invoquer les exceptions qu'il possède et ce à quelque moment que ce soit, alors qu'en droit commun de telles renonciations sont admises.
La loi précise enfin que ce droit vaut en ce compris le recours à la compensation. Cette référence s'explique par le fait que l'article 1295 du Code civil, prive le débiteur cédé à qui la cession a été notifiée ou qui a été reconnue par lui, du bénéfice de la compensation qui se réalise postérieurement. Le Code permet au consommateur d'opposer la compensation même si la créance qu'il oppose est née postérieurement à la notification de la cession ou de la subrogation.
Doctrine : voy. SAGAERT V., "Cessie van kredietovereenkomsten en van vorderingen uit de kredietovereenkomst", in Handboek consumentenkrediet, die Keure, 2007,313-333.