VII.70, § 1, dernier alinéa : Norme générale de comportement

 

 

Le texte de la disposition

Article VII.70, § 1, dernier alinéa

Le prêteur et l'intermédiaire de crédit agissent dans le cadre de l'élaboration, l'octroi, l'intermédiation ou la fourniture de services de conseil relatifs à des formules de crédits et, le cas échéant, de services accessoires destinés aux consommateurs ou dans le cadre de l'exécution d'un contrat de crédit, d'une manière honnête, équitable, transparente et professionnelle, en tenant compte des droits et des intérêts des consommateurs. En ce qui concerne l'octroi, l'intermédiation ou la fourniture de services de conseil relatifs à des crédits et, le cas échéant, des services accessoires, les activités s'appuient sur les informations relatives à la situation du consommateur et sur toute demande spécifique formulée par celui-ci, ainsi que sur les hypothèses raisonnables quant aux risques pour la situation du consommateur sur la durée du contrat de crédit.

Commentaire

Genèse

Cette disposition est insérée par la loi du 22 avril 2016 qui transpose dans le CDE, la directive 2014/17/UE sur le crédit hypothécaire. L'exposé des motifs justifie cet ajout comme suit: "L’article 6, 2° prévoit une disposition qui est déjà prévue dans le présent projet de loi pour le crédit hypothécaire en vertu de l’article 7 (1) de la directive. L’intention des auteurs du présent projet est de viser une certaine conformité pour le crédit à la consommation également. La directive 2008/48/UE ne s’oppose pas à une telle addition" (Exposé des motifs de la loi du 22 avril 2016, Doc. Parl., Ch. Repr., Sess. 2015-2016, n°54, 1685/1, p. 15). Cette disposition institue un standard du comportement du professionnel diligent et prudent en matière de crédit à la consommation. Cette règle de conduite s’impose dans toute l’organisation de l’activité de crédit hypothécaire depuis la conception des produits de crédit, leur distribution et la négociation avec les consommateurs jusqu’à l’exécution des contrats et la mise en œuvre des mesures de recouvrement en cas d’inexécution. Dans cette mesure, cette norme fournit une grille d’appréciation de l’attitude et donc de la responsabilité des professionnels en crédit à la consommation.

Agir d'une manière honnête et professionnelle

Cette formulation paraphrase le devoir de tout professionnel de se comporter de manière diligente et prudente. La diligence professionnelle est définie, pour le Livre VI, à l’article I.8., 25°, comme

Article I.8, 25° - Diligence professionnelle :

le niveau de compétence spécialisée et de soins dont l'entreprise est raisonnablement censée faire preuve dans son domaine d'activité vis-à-vis du consommateur, conformément aux usages honnêtes en matière commerciale;

. Le CDE interdit les pratiques «contraires aux exigences de la diligence professionnelle» (VI.93, CDE) qualifiées de «pratiques déloyales». Le comportement honnête et professionnel exigé par l’article VII.130 confirme donc en matière de crédit à la consommation, ce que le CDE, Livre VI, exige de tout professionnel.

Agir d’une manière équitable et en tenant compte des intérêts des consommateurs

On considère en droit commun que le professionnel doit, dans une certaine mesure s’informer des besoins du consommateur et en tenir compte dans l’offre de contracter qu’il lui adresse. Dans les crédits réglementés, le devoir de tenir compte de l’intérêt du consommateur va au-delà des principes dégagés en droit commun. Compte tenu des spécificités du crédit et des services financiers, il est donc imposé aux professionnels d’accorder une attention particulière aux besoins exprimés par le consommateur (ce qui implique notamment l'obligation de l’interroger à cet égard).

Il est impossible de définir le concept du comportement équitable et qui tient compte des intérêts des consommateurs autrement que par une énumération d’applications exemplatives. Le considérant 31 de la directive 2014/17/UE en fournit quelques exemples pour le crédit hypothécaire:

"Il s’agit notamment de «tenir compte des informations sur la situation et les besoins du consommateur, de se fonder sur des hypothèses raisonnables quant aux risques pour la situation du consommateur sur la durée du contrat de crédit proposé, de s’abstenir de commercialiser un crédit d’une façon qui altère ou est susceptible d’altérer sensiblement la capacité du consommateur à réfléchir avec soin à la contraction d’un crédit, ou de ne pas utiliser l’octroi d’un crédit comme méthode principale de commercialisation lors de la commercialisation de biens, de services ou de biens immobiliers auprès des consommateurs». Ce même considérant souligne l’ambition de la directive «d’exiger du secteur un haut degré d’équité, d’honnêteté et de professionnalisme, une gestion adéquate des conflits d’intérêts, notamment ceux découlant de la rémunération, ainsi que des conseils prodigués au mieux des intérêts du consommateur".

Le devoir de prise en compte des intérêts des consommateurs tel qu’il se trouve repris dans la norme générale, se concrétise à divers endroits dans les dispositions sur le crédit à la consommation (voy.par ex. l’article VII.69 sur l'obligation de cueillir des renseignements exacts et complets, l'article VII.75 sur le devoir de conseil, ou l'article VII.77, § 2 , qui impose au prêteur de n’accorder un crédit que s’il doit raisonnablement estimer que le consommateur sera à même de rembourser le crédit).

Il ne s’agit pas seulement d’une règle de conduite dans les contacts individuels avec les emprunteurs, c’est aussi un devoir qui s’applique à l’ensemble de l’activité du prêteur (ou de l’intermédiaire en crédit) en général. Le CDE impose ainsi au prêteur d’adopter une politique de rémunération qui n’encourage pas une prise de risque excédant le niveau qu’il a fixé ou qui ne porte pas préjudice à la capacité du personnel de fournir des conseils indépendants, par exemple en faisant dépendre la rémunération d’objectifs de vente (VII.114, § 5, CDE). Ces dispositions constituent une application du principe et n’épuisent pas la norme; c’est bien d’une ligne de conduite générale qu’il s’agit, laquelle doit être suivie par les professionnels et appréciée in concreto dans toutes leurs activités.

Agir d'une manière transparente

Les professionnels doivent agir d’une manière transparente. La norme générale ajoute un critère au devoir de comportement diligent et prudent du droit commun. Dans la réglementation financière, la transparence est un concept généralement associé à l’existence d’un conflit entre les avantages occultes ou indirects que le professionnel retire d’une opération et l’information complète ou le conseil indépendant que le consommateur est en droit de recevoir pour prendre la décision de contracter.

Transparence et crédit hypothécaire. La directive 2014/17/UE (dont le texte commenté est issu) évoque la transparence au considérant 47 en ce qui concerne les intermédiaires de crédits que, dans ce but de transparence, elle soumet à l’obligation de fournir des informations sur les liens qu’ils entretiennent avec les prêteurs et les commissions que ceux-ci leur paient. C’est ainsi que l’article VII.128, § 1er, 5°, oblige l’intermédiaire à signaler «en temps voulu» c’est-à-dire en tout cas avant d'entamer l'intermédiation, l’existence de commissions et d’autres incitations reçues du prêteur ou d’autres tiers. Si le montant n’en est pas connu au début des contacts, il doit, au minimum, être renseigné dans l’ESIS. De même sur demande du consommateur, le courtier de crédit doit lui communiquer les niveaux de commissions qu’il perçoit des différents prêteurs avec lesquels il travaille. Lorsque l'intermédiaire intervient également à l'occasion de la souscription du contrat de crédit, pour la conclusion d'un contrat accessoire pour lequel il reçoit une commission, ce devoir de transparence s'étend aux commissions perçues à l'occasion de ce ou ces contrats accessoires.

Transparence et crédit à la consommation. Si le législateur belge a repris la règle générale de comportement figurant dans la directive hypothécaire, il n'a pas repris les règles qui précisent la portée de cette obligation comme en crédit hypothécaire. Les intermédiaires de crédit n'ont donc pasl'obligation explicite d'informer le consommateur du montant des commissions qu'ils percevront du prêteur ou d'autres tiers. Le devoir de transparence l'oblige néanmoins à informer le consommateur du fait qu'il bénéficie d'un intéressement en cas de signature du contrat qu'il recommande. Il reste également que le devoir du conseil du courtier de crédit et la prise en compte de l'intérêt du consommateur l'obligent à rechercher l'offre de crédit la plus intéressante indépendamment de la commission payée par le prêteur.

Transparence et prêteur. Le devoir de transparence du prêteur n’est évoqué ni dans la directive sur le crédit hypothécaire, ni dans la loi, si ce n’est pour en consacrer le principe dans la norme générale. Rien ne justifie une application différenciée selon que le professionnel est prêteur ou intermédiaire. Il est usuel que les prêteurs perçoivent des commissions à l'occasion de la conclusion de contrats de services accessoires. C'est notamment le cas des assurances solde restant dû où les commissions perçues par les prêteurs sont conséquentes. Le consommateur doit donc en être informé quand il lui est proposé de souscrire un contrat pour lequel le prêteur perçoit une commission.

Transparence et rôle du consommateur

En crédit à la consommation, où le devoir de conseil est repris de longue date dans la loi, il est généralement considéré que le prêteur n’a pas l’obligation d’accorder le crédit aux meilleures conditions du marché (F. de Patoul, «La responsabilité du prêteur et de l’intermédiaire de crédit dans la phase précontractuelle, in Le crédit à la consommation, CUP 12/2004, vol 75, 46 et note [153]), ni de renvoyer le candidat emprunteur vers un concurrent moins cher (J.P. Gand, 5 janv. 1998, J.J.P., 1998, 596 ; voy. ég. Bruxelles, 15 septembre 2009, R.D.C., 2011, 306, note o. Stevens; Rev. dr. banc., 2011/1, 60, note m. De Muynck et m. de Potter de ten Broeck, «Begrip voor begripsverwarring? Capita selecta inzake de eenzijdige beëindiging van krediet (openingen)».). La règle générale ne dispense donc pas le consommateur de veiller à défendre ses propres intérêts mais elle peut imposer aux professionnels de faire passer les intérêts du client avant leur propre intérêt.

Le professionnel doit être à l’écoute du consommateur et non le materner. Le professionnel n’a pas le devoir de répondre aux besoins exprimés par le consommateur en recourant à d’autres produits que ceux qu’il commercialise habituellement, pour autant que ces produits répondent adéquatement aux besoins exprimés par le consommateur. Pour le crédit hypothécaire, les exigences du législateur vont plus loin. Les professionnels sont tenus de préciser au consommateur si l’offre de crédit qu’ils adressent est fondée sur une analyse de leurs propres produits ou sur une gamme de produits offerts sur le marché en général. Pour le courtier de crédit et ses sous-agents, la loi prévoit l’obligation de prendre en considération un nombre suffisamment important de contrats de crédit disponibles sur le marché.

Il reste une marge d’appréciation lorsqu’un produit ne répond que partiellement au besoin exprimé par le consommateur. En pareil cas, la difficulté ne peut se résoudre que par une information correcte (dont la preuve incombera au professionnel), la décision finale appartenant au consommateur ainsi informé des contraintes voire des limites du contrat qui lui est proposé. On souligne dans cette perspective le rôle prépondérant du professionnel dans l’élaboration d’un questionnaire permettant de cerner les besoins exacts du consommateur.

Transparence et tiers garants

Le devoir de transparence vaut également dans les rapports avec les tiers qui constituent une sûreté personnelle ou, plus généralement, qui se portent garants pour le consommateur. Cette norme semble créer un devoir d’information aggravé par rapport au droit commun envers les tiers garants, par exemple si l’analyse de solvabilité faite par le prêteur devait mettre en évidence des risques particuliers ou si en raison de la forme ou des modalités du crédit, le contrat comportait un risque supérieur au risque découlant d’un contrat classique. On songe par exemple aux appréciations négatives que contiendrait le rapport d’expertise du bien donné en garantie ou aux réserves qu’exprimerait le consommateur dans ses réponses au questionnaire du prêteur. La loi ne prévoit pas que l’expertise ou le questionnaire de l’emprunteur soient communiqués au tiers garant. Ce devoir devra s'apprécier en tenant compte de l'obligation qui incombe au tiers garant de s’informer auprès de l’emprunteur pour délimiter le risque qu’il accepte de couvrir (Gand, 21 mars 2012, N.j.W., 2012, p. 604 et note R.S. ; Mons, 20 janvier 2015, J.L.M.B., 2016/11, p. 484, obs. F. Renson. Gand, 19 septembre 2012, R.A.B.G., 2014/16, p. 1098, et note D. Blommaert, «Krediettoekenning en zekerheden: een bewegend evenwicht », p. 1108). Le tiers garant a, en effet le devoir, comme tout homme prudent et diligent, de s’informer des risques qu’il prend et donc, de la situation financière du débiteur. Le devoir de transparence obligera certainement le prêteur à signaler au tiers garant l’existence de risques particuliers, lorsqu’ils peuvent n’être connus que du prêteur ou qu’il est mieux à même d’en apprécier la portée.

La norme générale de comportement et les obligations spécifiques au devoir de conseil

La norme générale précise des obligations spécifiques pour le devoir de conseil que le livre VII impose aux prêteurs et intermédiaires non seulement pour le crédit mais également pour les services accessoires. Dans l'exercice de leur devoir de conseil, les professionnels doivent accorder une attention toute particulière aux informations qu'ils ont recueillies auprès du consommateur et à d'autres sources. Il s'agit de fournir un conseil adapté à ces informations et au besoin spécifique exprimé par le consommateur. Dans la recherche du crédit responsable (responsible lending) mise en avant dans les réflexions à l'échelle communautaire, il s'agit d'inciter le prêteur à ne pas aller au-delà du besoin exprimé par le consommateur et plus encore, de ne pas susciter le besoin de crédit. Se trouve par exemple ainsi mise en question, la pratique des ouvertures de crédit à durée indéterminée pour l'achat d'un bien de consommation d'une durée de vie limitée. L'intérêt du prêteur de susciter la réutilisation du crédit après remboursement du bien à acquérir à crédit est en conflit avec l'intérêt du consommateur de limiter le coût et les charges du crédit à l'acquisition du bien. Les pratiques commerciales et les offres de crédit que l'administration constate sur le terrain, en particulier auprès des chaînes de la grande distribution, paraissent très souvent faire passer l'intérêt du consommateur au second plan, après l'intérêt du prêteur. La norme générale de comportement oblige pourtant les professionnels à accorder la priorité à l'intérêt du consommateur.

Sanction civile

La norme générale contenue dans l’article VII.70 est sanctionnée civilement par l'article VII.201, tant à l'égard du prêteur qu'à l'égard de l'intermédiaire: le juge peut relever le consommateur de tout ou de partie des intérêts de retard et réduire ses obligations jusqu'au prix au comptant du bien ou du service, ou au montant emprunté. Le consommateur peut conserver le bénéfice de l'échelonnement de ses paiements.

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